Genèse, lecture et prise en charge des troubles de l’oralité

Genèse, lecture et prise en charge des troubles de l’oralité : réflexions à la lumière des journées oralité Necker 2017

Au retour des journées oralité Necker, je propose dans cet article de m’appuyer sur les interventions de Cascales & Olives et de Thouvenin & Peigné du Fraysseix pour réfléchir aux modalités de prises en charge pluridisciplinaires et transdisciplinaires des troubles de l’oralité, tout en m’appuyant parallèlement tant sur la lecture des TOA à travers le pentapôle de forces proposé par Abadie à la fin des deux journées oralité 2017 et sur l’article que j’ai écrit en 2016 sur la genèse des TOA à relire ici

Tout d’abord revenons sur le duo Cascales – Olives (respectivement psychologue et pédiatre) qui a évoqué sa consultation à travers des vignettes cliniques, puis sur l’équipe Thouvenin –Peigné Du Fraysseix (respectivement psychologue et psychomotricienne à l’hôpital Necker), qui a présenté Oralquest, un questionnaire oralité lancé à Necker. Ces deux interventions successives, ont mis en évidence des écarts de voir, de penser et de faire qui furent d’ailleurs pointées par le le modérateur, le Dr Goulet puis interrogées sur leur éventuelle complémentarité.

Boucle sensorielle secondaire : la réponse de Cascales et Olives

Cascales et Olives parlent donc de leur consultation oralité et expliquent accueillir des enfants qui présentent un comportement peu adapté « face à l’alimentation », mais ils concentrent leur exposé autour d’une pratique qui aborde finalement avant tout la dymanique parents-enfant, voire environnement-famille-enfant. Ils se défont, en début de présentation des aspects somatiques et développementaux qu’ils ont d’ailleurs résumé à « pas de retentissement staturo pondéral, ni troubles digestifs, allergiques ou respiratoires ». Ils enseignent dans le même temps l’importance de rassurer les familles autour de ces aspects organiques comme préalable nécessaire à l’échange qu’ils souhaitent favoriser dans cette consultation.

J’associe les idées soulevées par Cascales et Olives à que je nomme « la boucle sensorielle secondaire » dans mon article « genèse des TOA ». Ils invitent à explorer les rouages des processus familiaux et environnementaux susceptibles da catalyser la difficulté de l’enfant. J’entends qu’ils excluent dans leur exposé le caractère primaire des marécages digestifs, allergiques et respiratoires souvent rencontrés par ces enfants. Ils tiennent néanmoins vraisemblablement plutôt à simplifier la présentation de leur schéma de prise en charge, plus qu’à en restreindre les limites d’accueil aux familles.
Cascales présente le cercle vicieux des comportements parents / enfant qui s’auto-entretiennent ; il rappelle que lui et son binôme, le Dr Olives, considèrent que le plus souvent la difficulté naît du comportement de l’enfant qui rend le parent incompétent, et non l’inverse. Il sous-entend donc la nature compliquée de l’enfant à table comme élément premier du processus sans bien en préciser l’origine.
On peut se demander, à travers leur discours, si en rendant les parents compétents face à la difficulté de l’enfant, celui-ci peut voir dans le même temps son comportement modifié ? Ils répondent à la question : « oui quelquefois cela suffit ».

Mais… qu’advient-il de la vulnérabilité, voire des difficultés existantes sur le boucle sensorielle primaire ?

Je m’interroge sur le profil de ces enfants évoqués :
Présentent-ils un trouble de l’oralité tel que j’en avance une genèse qui prendrait racine autour d’une boucle sensorielle primaire vulnérable ? Auquel cas cela impliquerait que la difficulté initiale n’est qu’une vulnérabilité contournée par une réponse environnementale adaptée ?
ce qui conduit à la réflexion qui suit :
Sans atteinte de la boucle sensorielle primaire, devons-nous parler de troubles de l’oralité ?
Que va devenir la vulnérabilité ou la difficulté initiale face à ces prises en charge concentrées sur la boucle sensorielle secondaire à dominante « psychologique » ? Une compensation se mettrait-elle en place via les aspects cognitifs et émotionnels soulevés au décours de ces prises en charge ? Ou, encore une fois, devons-nous entendre les troubles de l’oralité comme troubles susceptibles d’exister sans atteinte primaire ? En clair, les paramédicaux habituellement sollicités pour accompagner parents et enfants le long des TOA sont-ils toujours à inviter sur le parcours de soins ?

Classification diagnostique et nosographie du Pr Abadie

Avec la proposition d’Abadie en ces mêmes journées Necker, on pourrait avancer que oui puisqu’elle propose une observation des TOA selon 5 pôles de forces indépendants, je cite :
« Le premier pôle est celui de « l’enfant » au sens de sa nature si on peut la définir en dehors des autres pôles, à savoir son tempérament psychique et physique, son degré de sensibilité sensorielle, sa structure morphologique. Le second pôle est celui de « la maladie », don degré de gravité, son caractère congénital ou acquis, son activité actuelle, les organes qu’elle touche. Le troisième est celui de « la mère » c’est à dire ce qu’elle est indépendamment de son enfant : son tempérament, son histoire en particulier alimentaire et psychologique, la construction de sa parentalité… Le quatrième pôle est celui représenté par « le lien » de cet enfant-là avec sa mère, à savoir ses caractéristiques (sécurité, ajustement réciproque, hérmonie, anxiété, fragilisé…). Le cinquième pôle est celui de l’environnement incluant le père, la qualité de sa présence et de son soutien, le niveau socio-éducatif, les conditions de vie…

Avec ces axes de lecture, où mettons-nous la vulnérabilité de ces nombreux enfants présentant des troubles développementaux ? Serait-ce la nature de l’enfant ? La maladie ?
Quand Abadie parle de « sensibilité sensorielle », comment entend-elle cette sensorialité et son neuro-développement ? N’est-ce pas dangereux de l’entendre en terme de « nature de l’enfant  » ? Je me questionne fortement. Je perçois dans sa proposition la possible disparition de la boucle sensorielle primaire telle que je la percevais. Le trouble pourrait donc être la résultante d’un seul pôle ? Celui de la mère par exemple ? Devons-nous mettre sous tous ces profils très différents le même couvercle « TOA » ? Je trouve cette lecture dangereuse, comme une sorte de retour en arrière dans la lecture des troubles des enfants avant tout compris comme le fruit d’un dysfonctionnement parental. Ne devrions-nous pas proposer des diagnostics différentiels qui proposeraient de distinguer les TOA qui s’enracinent sur une boucle sensorielle primaire des autres troubles alimentaires qui n’auraient pas la même origine primaire ?

Les prises en charge psychologiques permettent d’aider l’environnement à lire autrement les particularités de l’enfant, de l’accompagner différemment. L’évolution observée est lue possiblement comme un « soin suffisant » par les parents et/ou les soignants. Mais est-ce véritablement suffisant ? Le trouble de l’enfant « vu » / « entendu » / « parlé » / »compris » de manière « apaisée » par la famille peut-il être pour autant compris comme un « trouble-soigné » ? En caricaturant la situation, l’enfant qui ne mange que des yaourts enfin « compris- bien accompagné » par ses parents devient-il dans le même temps un enfant qui ne présente plus de TOA ?

A travers le pentapôle de forces proposé par Abadie et l’exposé de la consultation Cascales-Olives, j’avoue peiner pour avancer dans ma réflexion sur la prévention et la prise en charge précoce. Certes, on voit se dessiner différents axes d’observations, différents intervenants, mais comment les choisir et les prioriser ?

Examiner les boucles sensorielles primaires et secondaires avec Oralquest.

C’est en écoutant la présentation d’Oralquest, un questionnaire oralité monté à l’hôpital Necker que je retrouve mon schéma pyramidal juxtaposant les deux boucles sensorielles, primaires et secondaires. Les premiers résultats présentés par Thouvenin et Peigné Du Fraysseix nous offrent quelques pistes intéressantes de réflexion.
Ce questionnaire explore plus précisément 4 domaines qui sont :

– le comportement alimentaire
– l’oromotricité
– la sensorialité
– l’environnement

Il est passionnant d’entendre leurs présentations statistiques et comparaisons avec les groupes témoins. Si chaque domaine exploré donne des scores significativement différents du groupe témoins, il ressort tout de même qu’en fonction des âges, certains domaines paraissent plus significativement différents. Ainsi, elles pointent l’oromotricité comme premier signe fort du profil des plus petits, suivis par l’aspect sensoriel quelques mois plus tard.
J’ignore si on peut conclure que la difficulté des enfants est d’abord motrice puis sensorielle, il faudrait avant cela s’assurer que certaines rubriques du questionnaire ne sont pas plus sensibles sur certaines périodes de développement. Ces résultats sont encore à réfléchir, mais prometteur. Il serait fondamental de valider la genèse des troubles à travers les âges afin de pouvoir affiner les outils de dépistage ainsi que les interventions à proposer. Si nous partons de l’hypothèse que les premières difficultés de l’enfant face aux troubles de l’oralité, émergent via un terrain oromoteur ou sensoriel déficitaire, nous pourrions alors intervenir précisément sur ces domaines, et prévenir les retentissements comportementaux et environnementaux.

Quelle prévention ? Quel dépistage pour les TOA ?

Or, qu’est-il aujourd’hui proposé aux pédiatres et généralistes pour explorer le développement oromoteur des enfants ? Que connaissent-ils exactement du développement neurosensoriel des enfants et de l’impact de celui-ci sur la cognition et le comportement ?
Comment orienter des enfants fragiles vers les bonnes portes quand peu d’outils spécifiques sont offerts sur le terrain pédiatrique « tout venant » ?
Comment précéder les difficultés ancrées qui amènent les familles à consulter sur le tard, lorsque la route développementale de l’enfant est déjà creusée sur un sol chaotique ?

J’aime penser de manière utopiste à la route idéale que nous devrions suivre afin de ne
Ni sur-diagnostiquer
Ni sous-diagnostiquer
Mais prévenir l’ancrage de difficultés entendues souvent trop tardivement par le corps médical.
=> La difficulté réside surtout au cœur de la distinction entre développement normal et développement vulnérable à risque de développer des difficultés.

Par ailleurs, quand la médecine intervient auprès de l’enfant pour des reflux pathologiques, des allergies, des troubles respiratoires, des syndromes avérés ou suspectés, des troubles du développement, il serait indispensable de proposer d’emblée un accompagnement « oralité » parent-enfant tant on connaît les risques de développement de troubles alimentaires chez ces enfants-là.

La prévention pourrait avoir deux axes :
1. Systématisation de prévention oralité pour certaines pathologies repérées
2. Dépistages systématiques proposés lors des périodes « sensibles » de développement et écoute active des plaintes parentales au regard des connaissances actuelles sur les troubles de l’oralité.

Vers qui orienter les enfants ?

1. en premier lieu : les pédiatres et les généralistes de première ligne
2. en deuxieme lieu, laissez-moi vous présenter les KOPEO : les KOPEO sont les professionnels paramédicaux intervenant auprès des enfants ayant des troubles du développement.
Les Kinésithérapeutes : K
Les Orthophonistes : O
Les Psychomotriciens : P
Les Ergothérapeutes : E
Les orthoptistes : O

Ce sont des professionnels « hebdomadaires » qui accompagnent enfants et familles régulièrement et travaillent sur la demande des médecins. Ainsi, les médecins et les KOPEO apprennent à devenir des partenaires autour de la prise en charge de ces enfants. Face à la boucle sensorielle primaire vulnérable ou altérée, les KOPEO peuvent être sollicités pour avis / stimulation / compensation en fonction des aspects développementaux en jeu. Ils sont en mesure de demander des bilans complémentaires auprès de spécialistes pédiatriques : ORL, gastropédiatres, neuropédiatre, pneumopédiatre, ophtalmologistes. En équipe avec le médecin prescripteur, les paramédicaux KOPEO vont orienter vers des éxamens qui permettent de mieux comprendre et accompagner la pathologie de l’enfant. Puis ils vont proposer si besoin la prise en charge nécessaire.
Les KOPEO ne sont pas interchangeables mais ils travaillent dans la même direction, et offrent un regard plus affiné sur le domaine qui les intéresse. A ce jour les orthophonistes se voient offrir un enseignement complet dans leur formation initiale, mais bien d’autres paramédicaux parmi les KOPEO savent aujourd’hui accompagner les TOA.
Les médicaux vont explorer plus finement leur étage somatique, physiologique et fonctionnel et compléter la réponse des KOPEO.
Les psychologues et psychiatres vont accompagner plus précisément la dynamique complexe inhérente à la boucle sensorielle secondaire, mais ils interviennent également dès la boucle sensorielle primaire à titre préventif.
Voici comment nous pourrions résumer cette vision :

Cet article se termine… Il nous reste à présent à partager nos avis, nos points de vue, nos accords et divergences. Tout cela dans un seul but : avancer dans la prise en charge des troubles de l’oralité. A vous de jouer : les commentaires vous attendent !

Une fois cet article publié… aïe, immense erreur face aux diététiciens oubliés dans les étages supérieurs. Sombre erreur. Modification à venir !