Aujourd’hui j’ai ortho…

Aujourd’hui j’ai ortho…

A l’ère où l’éducation bienveillante, la motricité libre, la DME et Maria (Montessori) règnent pour guider les parents soucieux du développement de leur enfant, on croise aussi dans le sac à main des parents, un smartphone dernier cri, empli d’applis à balayer machinalement quand un temps est à tuer.
A l’ère où les parents sont dirigés vers la calme attitude face à l’enfant « perfect attitude », la haute technologie n’en finit pas de grandir en face d’un réseau libéré, d’images XXL lancinantes, de profusions de stimulations de l’esprit.
A l’ère où les activités extra-scolaires sont devenues scolaires, où les enfants ont des emplois du temps de ministre, il n’est pas bien vécu que l’oisiveté traverse la journée.
Les berceaux se sont équipés de mobiles noir et blanc, et parents stimulants.
En plus des jeux bien pensés, les 2 ans sont branchés… sur le dernier Vtech, les 5 ans harnachés sur la Nintendo dernière née… et dès 10 ans, le geste machinal visant à déverrouiller l’écran est acquis.

Aujourd’hui j’avais « ortho ». Ca faisait presque 10 ans que je n’avais pas côtoyé une salle d’attente animée du genre.
C’est mercredi, y’a du monde. Un enfant est branché sur sa Samsung qui elle-même est branchée sur le secteur au bas de la chaise, tandis que la mère, à l’autre bout de la pièce, est branchée sur ton téléphone, en pleine conversation animée. Elle finira par sortir, et son enfant par regarder autour de lui, la cherchant, renonçant vite en retournant sur son jeu de voiture en oscillant corps et écran.
Entrent alors mère et petit garçon, 4 ans, 5 tout au plus ? La mère s’assoit, déverrouille. Le gamin penche le nez dans le bac de camions, tire, bidouille, jette un coup d’œil à sa mère qui jette un coup d’œil aux applis, replonge dans le bac, tire encore, bidouille, relève le nez vers sa mère toujours appliquée. Renonce. File tout droit sur sa mère, qu’il amadoue au gré d’un « j’peux faire un jeuuuuu ? ». La mère se défile « c’est un vieux portable », le gamin insiste, s’immisce sur les genoux de sa mère, plantant ses yeux sur l’écran, passionnant. La mère renonce, cherchant un « petit puzzle » à défaut de ne pouvoir réaliser tranquillement le sien sans doute.


Espace temps suspendu… je réfléchis soudainement et réalise…
Souvent quand j’attends, même avec mes enfants, je déverrouille. A table, un clic, un ding, un grelot, je clique… « juste pour vérifier », machinalement. Souvent happée par l’information affichée, j’oublie où je suis, j’oublie de différer, j’oublie de profiter du temps oisif que peut être que partageais la minute d’avant.
Souvent le soir, sans y penser, les aiguilles ont tourné plus vite. Le son de la télévision, l’écran de l’ordinateur encore allumé, le portable en main, j’ai déverrouillé, glissé le doigt, appuyé, glissé, lu, fermé, glissé, verrouillé, déverrouillé.

Et pour dormir, enfin couchée, une oreillette pour « écouter », ne plus penser…

Je réalise dans cette salle d’attente, moi orthophoniste chez l’orthophoniste que le cercle vicieux partout dénoncé s’est en moi immiscé.

Pourtant, alertée depuis toujours en voyant mon garçon « devenir fou » pour lâcher un jeu vidéo, j’avais banni les écrans de la vie de mes enfants. Télé au goutte à goutte, jeux vidéo rangés dans un placard hors de portée pour les jours de fête, tablette connotée « outil de travail maternel parfois prêté sur un malentendu ».

Mais moi ? mère avisée ? Quel modèle suis-je pour mes enfants au cœur de ma boulimie de communications et d’occupations « détente » ? Que comprennent-ils de mon « check de mails » 100 fois par jour ? Des grelots, des ding, des zip et autre wouap qui rythment notre vie sonore à bas bruit ? Quelle attention ai-je véritablement pour eux quand ils me cherchent du regard pour me parler sans mots ?

Je réfléchis encore … ayant peur d’entrapercevoir trop nettement la réponse.