Langage oral : le tout-petit, ses parents et l’orthophoniste

Langage oral : le tout-petit, ses parents et l’orthophoniste
Quand on parle de prise en charge précoce en langage oral en orthophonie, de quoi parle-t-on ?
Que fait l’orthophoniste qui reçoit un enfant qui ne parle pas ?

Pour commencer l’orthophoniste fait un bilan. Cet article abordera cet aspect.

Le bilan va reprendre plusieurs choses :

1. Les circonstances de la naissance de l’enfant :
la grossesse, l’accouchement, les premières semaines de vie

Pourquoi ?
On croit souvent que le développement commence après la naissance de l’enfant, or cela est bien plus complexe. Les sens se développent in utéro et on observe très tôt des réponses corticales face aux stimulations sensorielles du bébé dans le ventre de sa mère. Les premières réponses sensorielles observées in utero concernent le système somesthésique (toucher) entre 16 et 20 SA, mais aussi le système nociceptif (16/20SA) puis les systèmes vestibulaire, auditif et visuel (23/25SA) – d’après Calendrier du développement sensoriel embryonnaire et fœtal -Kuhn et al. Arch Ped 2011)

calendrier sensoriel
Ainsi quand on interroge sur la grossesse, on va tenter de comprendre le vécu du bébé in utero ; une maman avec une menace d’accouchement prématuré, alitée les 3 derniers mois de grossesse, donne des informations sur le vécu sensoriel du bébé. L’haptonomie proposée lors de certaines préparations à la naissance informe tout autant. Ce ne seront pas des points suffisants pour « comprendre » ou « expliquer » les difficultés observées, mais cela peut y contribuer. Notons que les études scientifiques manquent sur ce point, mais des professionnels questionnent à ce propos ; Mathilde Boudou, orthophoniste, soulevait cette intuition lors des Entretiens Orthophoniques de Bichat en octobre dernier quand elle évoquait un cas clinique d’oralité alimentaire.

Interrogeant sur l’accouchement, on va obtenir des informations sur la rapidité de l’arrivée du bébé, sur les éventuelles difficultés rencontrées, aides instrumentales apportées, césarienne ou péridurale. Tous ces éléments vont nous informer sur les éventuelles difficultés rencontrées en périnatal que ce soit pour le bébé ou pour la maman.

Comment le bébé a-t-il bu au sein à la naissance ? Etait-il encore sous les effets de la péridurale qui d’après Mme Senez n’est pas sans influencer les premiers pas du bébé dans son activité nutritive.

Puis, lors des premières semaines, voire des premiers mois, retrouvons nous des éléments qui auraient pu venir entraver le développement du bébé ? Hospitalisations, événements familiaux ayant pu modifier la qualité des interactions entre le bébé et son environnement ?

=> Ces aspects périnataux nous permettent d’enquêter sur les premières expériences sensorielles et émotionnelles du bébé, et de repérer les premières traces de difficultés.

2. Le développement de l’enfant sous des aspects généraux, que cela concerne le développement moteur, ou verbal, social, sensoriel.

Pour cela les orthophonistes bénéficient de plusieurs outils qui leur servent de point de repère.
– Echelle de Denver (approche pédiatrique),
– IDE (Inventaire du Développement de l’Enfant- CogniSciences),
– grilles d’outils spécifiquement pensés pour les orthophonistes (Evalo BB, Dialogoris)
– etc …

Par le biais de ces grilles d’observations, les orthophonistes vont démêler les aspects développementaux de l’enfant, afin de comprendre comment l’enfant fonctionne, là où des dysfonctions apparaissent, là où au contraire le développement se montre tout à fait dans les “normes attendues” pour la tranche d’âge concernée.

Pourquoi ? Nous savons que le développement de l’enfant se dessine sous des aspects homogènes : un enfant se développe généralement au même rythme entre le moteur et le verbal, même si on entend souvent « on ne peut pas tout faire en même temps » quand on voit un enfant qui marche voire court et grimpe, alors qu’il ne parle pas.

L’orthophoniste évalue ainsi le développement afin d’identifier un retard « global », ou plus centrer sur le langage à priori pointé au départ.

Puis, grâce à ses connaissances sur le développement du langage, l’orthophoniste va aller explorer plus finement toutes les compétences dont il sait qu’elles viennent asseoir le langage. Les professionnels parlent de « prérequis au langage ».

3- Exploration des prérequis du langage
Comme dit dans cet article ici, le langage s’appuie plus spécifiquement sur :
des aspects sensoriels : l’enfant apprend peu à peu à faire sens sur ce qu’il perçoit de l’environnement via ses sens, il apprend à traiter les informations ensemble, ou au contraire à les prioriser, et adapter ses réactions grâce au soutien de son environnement qui étaye sur le plan émotionnel / affectif,
des aspects visuels : “je vois bien, je m’intéresse à ce que maman regarde, je me sers de mes yeux pour repérer les choses pertinentes,…”
des aspects auditifs : “j’entends bien, je prête attention aux bruits qui m’entourent et j’apprends à les distinguer finement les uns des autres,…”
des aspects moteurs-praxiques : “j’oriente mon corps pour favoriser les échanges avec mon environnement, je bouge ma bouche, ma langue pour produire des bruits précis-multiples…, je dirige mon bras, mon index pour montrer ce qui m’intéresse ou demander des choses,…”
des capacités d’imitation : “je regarde l’adulte / j’entends l’adulte, et je l’imite sans effort, …”
des compétences sociales : “j’ai envie d’échanger avec mon environnement, j’ai du plaisir à partager des sourires et des échanges de regards, je pleure ou râle pour obtenir quelque chose, je cherche l’interaction avec l’autre même s’il paraît indifférent : je réponds aux invitations et je peux les initier. Un M-CHAT peut-être proposé quand l’orthophoniste s’interroge sur un TSA (Troubles du Spectre Autistique).

4- L’environnement
L’orthophoniste va également explorer, essayer de comprendre, comment fonctionne l’environnement qui entoure l’enfant. Comment l’enfant vit-il au quotidien ? comment est-il invité à communiquer ? comment est-il stimulé ? quels jeux sont proposés ? comment est-il compris ? comment est-il aidé ?
L’enfant vit-il avec ses parents ? est-il en collectivité ? a t-il une nounou ? des grands-parents ? Des frères et sœurs ? Que pense chacun ? Que propose chacun ?
– y’a t-il des antécédents familiaux de troubles du langage ? On sait que certains troubles du langage oral se retrouvent dans les familles. Il y a des aspects “génétiques-épigénétiques” indéniables. Cela va contribuer également à la compréhension de la difficulté de l’enfant et de l’aide à apporter

5- Le développement du langage
Enfin quand les enfants parlent un peu, on évalue leurs productions, notamment leur stock lexical (stock de mots) et leur accès à la phrase.
Des outils spécifiques aux orthophonistes existent là encore :
– IFDC : abrégé ou complet (jusque 30 mois en version complète)
– EVALO BB ou EVALO 2-6
– CléA (après 30 mois)
– Bilo Petits (après 3 ans)
– etc …
Vous l’aurez compris cet aspect est finalement très dépendant du niveau de l’enfant. Quelquefois les orthophonistes ne les utilisent pas, notamment quand les prérequis sont déficitaires ou fragiles. Evaluer l’aspect purement linguistique du langage de l’enfant serait en tout cas insuffisant chez un enfant sans langage en production.

Attention néanmoins :
– un enfant qui ne parle pas n’est pas un enfant qui ne comprend pas
– et un enfant qui semble comprendre n’est pas forcément un enfant qui comprend.
=> il convient dont quelquefois d’explorer plus finement la compréhension de ces enfants qui tardent à parler. Elle nous donne de précieux indices sur le développement.

6- l’oralité alimentaire
Comment l’enfant mange t-il ? Variété de goût et de textures, temps de repas et accès aux morceaux, … Si l’orthophoniste perçoit une difficulté sur le plan, il va préciser son exploration.

Pour finir,
l’orthophoniste va vous expliquer ce qu’il perçoit des difficultés de votre enfant. Une prise en charge peut à la suite de cela vous être proposée, selon différents schémas que j’aborderai prochainement si vous le souhaitez.

Je vous propose de commenter cet article si vous souhaitez qu’une suite soit proposée, notamment sur la prise en charge des enfants de moins de 3 ans en orthophonie.