Bilan orthophonique du tout petit

Bilan orthophonique du tout petit

Ce bilan est assez spécifique puisque l’analyse ne concerne pas les productions linguistiques de l’enfant, celui-ci ne parlant pas encore, ou très peu. Ce bilan vise à émettre des hypothèses explicatives quant au retard ou aux particularités observées dans le développement et à proposer une réponse adaptée pour accompagner l’évolution de l’enfant de manière ajustée.

Cet article vise à expliquer comment s’organise un bilan orthophonique chez un tout petit, quelle que soit sa ou ses difficultés. Il est important de comprendre qu’il peut être réalisé très tôt dans la vie de l’enfant, et ce dès lors qu’une difficulté est identifiée ou que les parents s’inquiètent.

Quand peut-il être demandé ?

Quels signes l’enfant présente-t-il ?

  • Il présente un syndrome génétique ou malformatif, un handicap avéré ou suspecté, connu pour impacter le développement de la communication / du langage / de l’alimentation. Notons que même sans difficulté avérée sur ce plan, il est important dans ce cas de réaliser un bilan ; une prise de contact précoce avec un orthophoniste permettra d’accompagner la famille, et au besoin, d’anticiper les difficultés en proposant des stimulations spécifiques de manière préventive.
  • Il a des difficultés pour s’alimenter
  • Il ne sollicite pas ou peu son environnement : ni avec des mots, ni avec des gestes.
  • Il ne parle qu’en répétant immédiatement ce qu’il entend (écholalies)
  • Il ne parle pas
  • Il est inintelligible
  • Il n’est pas toujours compris par son entourage : mots déformés ou propos peu cohérents.
  • Il ne paraît pas toujours comprendre
  • Il est isolé, peu réactif face aux sollicitations de son environnement
  • Il a des parents inquiets, qui repèrent des bizarreries ou peinent à s’ajuster spécifiquement à leur enfant.
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A quel âge ?

  • Dès la naissance pour les troubles alimentaires, les handicaps et syndromes
  • Dès que l’enfant peine à communiquer avec ses proches, et donc bien avant que la production des premiers mots soit attendue. Avant de parler, l’enfant communique avec son regard, sa voix et son corps. A 6 mois l’enfant commence à pointer les choses qui l’intéressent. A 12 mois l’enfant est sensé produire quelques mots. A 24 mois des phrases.
  • Dès que les parents ressentent une difficulté : ils sont souvent très habiles pour percevoir précocement la difficulté de leur enfant.

Comprenons qu’il n’y a pas d’enfants trop jeunes qui consultent. Il est d’ailleurs important de voir l’enfant le plus précocement possible dès lors qu’une difficulté ou qu’un doute survient.

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Comment trouver une orthophoniste ?

Le site ameli.fr, dans la rubrique « annuaire santé », permet de trouver l’orthophoniste le plus proche de votre domicile. Il peut arriver que le professionnel qui travaille proche de chez vous ne soit pas en mesure de recevoir un enfant très jeune, ou présentant des troubles de l’oralité. Si les orthophonistes sont formés pour prendre en charge toutes les pathologies de notre nomenclature, la réalité de terrain nous conduit à réaliser que la plupart des orthophonistes ne s’engagent pas dans tous les types de prises en charge, mais savent orienter au sein d’un secteur géographique de première proximité, vers les collègues en mesure de les recevoir. Il est donc sans doute intéressant d’appeler proche de chez vous et de vous voir réorienter au plus près, plutôt que de faire une heure de route pour consulter l’orthophoniste dont on a entendu parler. Semaine après semaine, ce trajet sera également imposé à votre enfant, et pourra devenir coûteux dans tous les sens du terme.

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Quant aux listes d’attente annoncées dans certaines régions, elles ne doivent pas vous faire renoncer puisque les enfants jeunes sont considérés, comme d’autres pathologies, prioritaires. Insistez, laissez des messages,… Dans ce cas là, vous serez possiblement amenés à faire quelques kilomètres supplémentaires… malheureusement… en attendant qu’une place se libère plus près de chez vous.

Le prix du bilan varie selon la prescription médicale. Quoi qu’il en soit il est pris en charge par la Sécurité Sociale et par la Mutuelle intégralement (60% – 40 % respectivement).

Comment se déroule le rendez-vous ?

Les orthophonistes réalisent des bilans « singuliers » dans le sens où chacun mène son art à sa manière. Chacun propose au moins un entretien. En parallèle plusieurs outils existent pour guider leur examen, allant de questionnaires parentaux à des grilles d’observation très détaillées proposant des activités ciblées aux enfants quand ceux-ci sont en mesure de coopérer. La durée du bilan varie en fonction des professionnels, et du profil des enfants. Il dure entre 1h30 et 3h, sur un ou deux rendez-vous le plus souvent.

Je propose de développer ici « un fonctionnement orthophonique », en vous présentant mon travail. Il est important d’entendre que si les grandes lignes se retrouveront lors de la majorité des consultations, chacun des professionnels mènent le bilan orthophonique du tout petit de façon unique : avec ses connaissances, ses bases théoriques, son expérience, mais aussi sa personnalité.

Il paraît fondamental de rappeler l’importance de l’alliance thérapeutique dans les suivis orthophoniques. Pour cela, il est important que chacun se sente à l’aise avec le professionnel qu’il rencontre. Au besoin, dans le pire des cas, quand la confiance peine à s’installer, il est important de s’autoriser à  poursuivre avec un autre orthophoniste. Dans le meilleur des cas, le dossier peut être transmis si vous oser en discuter avec le professionnel que vous quittez.

L’anamnèse

Tout d’abord, comme tous les orthophonistes, je réalise en premier lieu une « anamnèse» qui me permet de retracer l’histoire de l’enfant en abordant :

  • Ses antécédents médicaux pré et postnataux
  • Sa famille, et les antécédents (médicaux et développementaux)
  • Son quotidien : alimentation, sommeil, activités, comportement,
    mode de garde ou scolarisation.
  • Ses compétences et les difficultés que les parents observent.
  • Le vécu émotionnel de l’enfant : les choses qui lui plaisent, celles susceptibles de déclencher oppositions voire colères.
  • Les stratégies mises en place pour aider l’enfant, mais aussi les difficultés que l’entourage peut rencontrer pour faire face.

Plus spécifiquement, je vais peu à peu mener mon enquête pour d’une part comprendre la difficulté rencontrée par l’enfant mais aussi identifier la ou les contraintes qui amènent cette dernière. Ainsi, au gré des échanges, des questionnaires, des observations, je vais pouvoir répertorier les différentes contraintes sensori-motrices que l’enfant peut rencontrer, mais aussi ses forces et leviers pour le prochain suivi (s’il a lieu d’être).

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L’examen clinique

Le développement, généralités

Des jouets sont mis à disposition des enfants (et des parents). Les parents demeurent garant du confort de leur enfant et je m’engage à leur offrir les choses dont ils pourraient avoir besoin pour que leur enfant se sente bien. Ainsi chacun garde son rôle durant le bilan. Les parents s’occupent de leur enfant, et je réalise le bilan grâce à notre collaboration à tous.

Proposer des jouets à l’enfant c’est lui offrir des occasions d’explorations, mais aussi de manipulations, de mises en scène, de sollicitations des adultes en présence (les parents le plus souvent, mais moi aussi possiblement).

En regardant un enfant « faire » avec les jouets qui sont mis à sa disposition, je peux voir certaines étapes du développement sensori-moteur, social voire affectif. Utilise t-il les jouets à bon escient ? En est-il encore à vider le bac pour éventuellement le remplir après, quels que soient les objets sortis ? Ramasse t-il ce qui lui échappe des mains ? Bouge t-il dans la pièce quand cela le nécessiterait ? Y’a t-il des activités spontanées de faire semblant ? Des jeux symboliques ? Met-il encore certains jouets en bouche quand il les découvre ? Peut-il empiler ? Encastrer ? Contrôler ses gestes avec son regard ? Cherche t-il à renouveler les découvertes éventuellement faites avec des jeux sensoriels ? A-t-il peur de certains jouets ? Comment l’exprime t-il ? Met-il en scène des animaux ? Des véhicules ? Bruite-t-il ? Jette t-il ? Est-il même avant tout en mesure de s’intéresser aux jouets qu’on met à sa disposition ? …

Enfin grâce à l’aspect ludique des jouets, le contact peut s’établir avec moi si j’invite l’enfant à partager un moment, implicitement ou explicitement. Les jouets deviennent donc des vecteurs facilitant pour nouer une relation sociale, et ce d’autant plus que les enfants sont jeunes ou se présentent avec peu ou pas de langage.

En conclusion, les jouets sont les meilleurs outils mis à ma disposition pour observer le développement de l’enfant, que ce soit sur le plan moteur, sensoriel, mais aussi social et langagier.

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La sphère orale

Il n’est pas aisé de se laisser approcher quand on a 2 ans. Aussi l’examen de la sphère orale de l’enfant demande parfois un temps d’apprivoisement nécessaire en plus de la mise en scène souvent ludique de cette exploration. Les tout petits ont souvent en mémoire l’examen médical, le guide langue ou l’intrusion de l’auscultation. Ils craignent donc très souvent d’emblée que je les approche, et pire encore s’il s’agit de leur bouche.

Pour contourner les appréhensions, et rendre mon examen confortable, les petits sont souvent assis sur un plan en hauteur, en sécurité, face à un miroir, avec une ribambelle de petits riens attrayants : une lampe torche fleurie, et une autre mécanique. Une sauterelle montée sur ressort, des balles lumineuses, … En fonction de chaque enfant, mon projet est dans un premier temps que l’on puisse se détendre ensemble tout en étant très proche l’un de l’autre pour l’examen qui suit.

Ensuite pour chaque enfant, la mise en scène peut varier, même si de grands classiques reviennent souvent lors de mon bilan :

  • la bébête qui monte (ou la voiture qui roule sur lui) : supporte t-il ? s’échappe t-il ? Rit-il ?
  • « Ohhhh mais tu as beaucoup de dents ! Montre moi combien tu en as ? On dirait un lion ! » En ouvrant grand la bouche, et en mimant l’action de compter les dents, j’ai tout loisir d’observer la sphère buccale (au moins un petit temps).
  • J’offre une baguette de mastication, en prendre une, et joue à mordiller la mienne devant l’enfant pour viser l’imitation spontanée. Que se passe t-il ? m’imite t-il ? Explore t-il lui-même sa bouche aisément, me laisse t-il dans un second temps tenir la baguette de mastication ?
  • Je propose un Z-vibe et ensemble nous nous réjouissons des sensations induites : sur moi, sur toi… Quelles réactions cela provoque t-il chez l’enfant ?
  • J’invite l’enfant à voir ma grande bouche avec la lampe prêtée pour l’occasion et inverse les rôles. Je sors le téléphone en selfie au besoin. Ce stratagème me permet encore une fois d’examiner la bouche, de manière souvent plus précise.
  • Jouer aux grimaces devant la glace : comment l’enfant parvient-il à mobiliser sa face ? Les mouvements sont-ils lents ? précis ? impossibles ?
  • Faire des bulles de savon : l’enfant sait-il souffler ?
  • Tremper nos doigts dans l’eau et les lécher : comment ses lèvres s’arrondissent t’elles autour de ses doigts ? Aime t-il cela ? Est-ce impossible à réaliser au contraire ?
  • Manger un Petit Beurre… quand on a envie…
  • etc …
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Le projet reste toujours le même derrière tous ces scénarios :

  • évaluer les possibilités d’accès à la sphère oro-faciale
  • voir les dents, le palais, la langue, les freins
  • évaluer le tonus
  • identifier les réticences sensorielles
  • évaluer la motricité oro-faciale

Il s’agit là d’un langage bien spécifique qui revient à dire : comment est la bouche ? Tout est-il optimal pour porter le développement du langage et de l’alimentation ? Comment bouge la bouche, le visage ? Y’a t-il des désagréments sensoriels susceptibles d’entraver le développement ?

L’essai alimentaire

Je suis amenée à proposer un « goûter » ou un repas en fonction de la plainte, de l’âge, de l’heure de la journée, lors du bilan qui évalue l’oralité alimentaire des enfants.

L’objectif est de comprendre en observant, quelles difficultés l’enfant et sa famille peuvent rencontrer et de mettre en lien ces observations avec les autres éléments du bilan afin d’émettre à terme des hypothèses quant aux contraintes qui freinent le fonctionnement alimentaire.

Ainsi, j’observe comment l’enfant met en bouche, comme celle-ci bouge pour avaler, mais aussi croquer ou mastiquer.

Faute de ne pouvoir observer un repas au sein de mon bureau, je propose aux familles de m’amener une vidéo lors d’un RDV ultérieur, ainsi que des photos de l’installation de l’enfant, puisque celle-ci se révèle fondamentale dans la prise alimentaire, notamment quand l’enfant présente des troubles ou des vulnérabilités de développement.

L’observation du repas me permet de compléter mes premières investigations menées autour du développement général et alimentaire. 

Les conclusions du bilan

Lorsque l’entretien et toutes les observations, tests ou questionnaires ont pu être réalisés, l’orthophoniste est en mesure d’établir une hypothèse diagnostique, mais aussi des hypothèses de rééducation et un plan de soins. Il rédige donc un compte rendu au médecin qui a prescrit le bilan (parfois en retard… oups), dans lequel il décrit tout ce qui a été examiné, et les conclusions avancées, dont l’hypothèse diagnostique, les hypothèses de rééducation et le plan de soins imaginé.

A la fin de ce bilan, ou tout au long du bilan, selon les professionnels, l’orthophoniste fait part aux parents de ses conclusions et propose si besoin une prise en charge. Les objectifs visés sont discutés avec la famille, et le déroulement du suivi est expliqué. 

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L’organisation du suivi

Très souvent, les orthophonistes proposent un ou deux rendez-vous hebdomadaires, sans préciser la fin du suivi. Celui-ci durent souvent plusieurs mois, voire années. Il est important de faire le point régulièrement, afin d’évaluer la progression objective de l’enfant (tous les enfants évoluent… même sans orthophonie : la progression objective est celle qui permet d’observer une réduction des difficultés, des contraintes initiales, et / ou une amélioration significative des stratégies mises en place par l’enfant). Il arrive très souvent que les professionnels proposent des fenêtres thérapeutiques dites « pauses », et revoient les enfants après plusieurs mois afin d’observer la généralisation des progrès et les éventuelles difficultés persistantes. En fonction des situations, tous les possibles se retrouvent.

Pour ma part, je propose le plus souvent une quinzaine de séances à l’issue desquelles nous faisons un « mini bilan » afin d’objectiver les progrès et de valider les hypothèses rééducations avancées au départ. Quand les enfants ont progressé, 2 ou 3 mois d’arrêt des soins sont très souvent proposés parce que les familles sont devenues expertes des difficultés de leur enfant, et elles savent bien souvent poursuivre la stimulation nécessaire sans soutien hebdomadaire de ma part. Quand nous nous retrouvons, nous réévaluons la progression afin d’identifier les éventuels besoins de l’enfant (et d’imaginer un nouvel objectif), ou d’objectiver la normalisation de son fonctionnement (et de proposer une surveillance à distance, voire un arrêt des soins).

Conclusion

Retenez que tout est possible en matière de bilan ou de suivi. Les orthophonistes sont des professionnels débordant d’imagination et de nouvelles idées. Si en période de crise sanitaire, nous devons réinventer notre travail, avec des masques ou de la distance, il est fort possible que vous croisiez sur votre chemin des orthophonistes qui vous proposerons des bilans ou des suivis encore différents de ceux décrits précédemment. Néanmoins, les grandes lignes se retrouveront toujours.

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J’espère que cet article vous permettra de prendre contact avec un orthophoniste, sereinement, sans appréhender le bilan de votre tout petit. Et surtout n’attendez pas ! Pour comprendre les raisons de l’intérêt d’une prise en charge précoce, je vous invite à lire (ou relire) cet article Langage oral : prise en charge précoce. Pourquoi ?

Si vous avez des questions, n’hésitez pas, les commentaires sont là pour ça.