Mon enfant ne mange pas de morceaux

Mon enfant ne mange pas de morceaux. Pourquoi ?

Avant de commencer à comprendre ce qui se passe, essayons de nous mettre d’accord sur ce que nous appellerons « morceau » dans cet article.

Les morceaux seront ici des parties d’aliments qui nécessitent d’être mastiqués pour être transformés en bouillie susceptible d’être avalée. Les plats industriels pour bébés évoquent pourtant des « petits morceaux » dans leurs plats… que nous ne nommerons pas ainsi ici ; ces « morceaux » seront plutôt ici appelés « des irrégularités de texture » car ils peuvent être avalés tout rond, sans passer par une mastication.

Avant de pouvoir accéder aux morceaux qui nécessitent une longue mastication experte (comme face à des bâtonnets de carottes ou de concombres), le bébé passe par des étapes intermédiaires telles que :

accepter des textures diversifiées : plus ou moins liquide, plus ou moins pâteux, plus ou moins granuleux, plus ou moins régulier.

mordre dans un aliment dur comme un « biscuit » > le biscuit mordu dans la bouche ramollit et se détache

croquer / mâchonner de très petits bouts, très mous, les écraser entre la langue et le palais ou entre les gencives.

Ensuite, les morceaux amènent la mise en place de la mastication, c’est à dire une danse experte durant laquelle se coordonnent la langue, la mâchoire, les joues et les lèvres.

 

On peut identifier des morceaux qui amènent plus ou moins de besoins masticatoires en fonction de la résistance des aliments proposés et de la facilité avec laquelle ils s’insalivent (et donc s’avalent ensuite). L’enfant peut :

mastiquer des morceaux tendres rapidement transformés en bouillie (légumes bien cuits ou fruits bien murs, pâtes, riz bien cuit, …)

mastiquer des morceaux plus complexes, durs qui nécessitent une mastication soutenue (viande, carottes crues, pommes, …)

Il est important de comprendre que le passage de l’alimentation lactée à l’alimentation en morceaux, nécessite une évolution de la manière de gérer l’aliment dans la bouche. Le bébé passe d’une alimentation où la succion est centrale, à une alimentation mastiquée, donc nécessitant des mouvements très élaborés.
Certains bébés se voient proposer de gros morceaux tendres dès le début de la diversification (c’est le cas dans la DME), et d’autres vont progresser pas à pas en fonction de l’évolution des propositions de leurs parents.

Plusieurs routes existent donc pour évoluer vers ce savoir-faire , mais quoi qu’il en soit, « ne peuvent manger des morceaux que les enfants à qui on en a proposé ».

Sauf que… vous en avez proposé à votre bébé, et que « ça ne passe pas ».

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces difficultés :

Les causes dites « sensorielles »

L’enfant ne supporte pas qu’autre chose qu’une texture lisse se faufile dans sa bouche. Non seulement il refuse les morceaux, mais il refuse aussi possiblement des textures « plus simples », juste granuleuses, ou écrasées à la fourchette, tous ces minuscules bouts qu’il pourrait même sans doute « avaler tout rond »

Il refuse sa cuiller, il recrache, voire ressort de sa bouche tous les « mini bouts » qui se sont cachés dans leur purée.

Pourquoi se comporte-t-il comme ça ?

Souvent, il est tellement habitué à sa texture lisse, que tout autre texture l’amène à montrer un comportement « défensif », puisque sa bouche détecte des choses inhabituelles. Ses « attentes sensorielles » conditionnent son comportement, de la même manière que si nous vous proposions soudainement de dormir à même le sol, sans matelas. Vous peineriez sans doute à trouver le sommeil alors qu’il existe des endroits dans le monde où les hommes vivent ainsi, et qui à l’inverse dormiraient difficilement dans nos lits. L’enfant est seulement « habitué » à autre chose et peine à valider un autre schéma.

Plus longtemps votre enfant s’est vu proposer des aliments « réguliers », plus il peut lui être difficile d’accepter autre chose.

Il se peut aussi que votre enfant présente les compétences d’un enfant à qui « rien n’échappe ». Chaque petite différence est traitée immédiatement, même quand celle-ci n’est pas importante. Ainsi, la différence de texture est vite repérée, et possiblement vite repoussée, puisque le système nerveux fonctionne au départ ainsi : ses sens repèrent une différence, et mettent son corps en alerte, comme pour le sauver d’un danger. Le radar de survie de votre enfant est un peu trop vigilant.

 

Les causes dites « motrices ou oro-motrices »

L’enfant n’est pas habile avec les muscles de sa bouche et la coordination que les morceaux réclament.

Il ne peut gérer le morceau pour le mordre, le croquer, le mâchonner, le mastiquer … pour le réduire en une bouillie susceptible d’être avalée. Il refuse donc les morceaux qui ne lui permettent pas de manger avec la même facilité que la purée. Cet enfant peut d’ailleurs être très gêné par les doubles textures comme les purées dans lesquelles il resterait quelques morceaux.

Il se peut également qu’il sache mordre et croquer, mais, que sa langue ne sache pas encore bien rattraper puis regrouper les aliments ainsi grossièrement coupés qu’il a dans sa bouche pour les broyer complètement avec sa langue / son palais / ses dents ou gencives. Or isoler des morceaux pour les mastiquer, ça demande une bonne adresse orale !

Il conviendra donc de comprendre d’où vient la maladresse de l’enfant, et d’identifier si elle n’est que le reflet de son début d’apprentissage, ou si elle est le reflet de difficultés motrices plus larges, qui impactent notamment la motricité globale ou fine (le tonus, les coordinations par exemple).

Les causes dites « organiques »

D’une manière générale, chacun le sait bien, être malade ne favorise pas la prise alimentaire. On pourrait donc avancer que toutes les maladies sont susceptibles d’impacter la prise alimentaire d’un individu. L’OMS recommande d’ailleurs de donner des aliments mous que l’enfant apprécie en cas de maladie.

Le système digestif de l’enfant peut spécifiquement être en cause et générer des inconforts voire des douleurs. La succession des expériences négatives amène l’enfant à intégrer le repas comme étant source de désagréments.  Il va faire le lien entre « repas » et « désagréments digestifs », refuser de manger notamment des morceaux , plus complexes à gérer , mais aussi ses purées possiblement selon sa situation..

Mon enfant ne mange pas de morceaux. Comment faire ?

Vous identifiez des causes plutôt sensorielles :

  • Proposez au maximum des choses diversifiées si votre enfant a tendance à présenter rapidement des « attentes sensorielles » . Une consommation exclusive de petits plats industriels pour bébé peut venir renforcer ce comportement, puisque ces plats sont très réguliers, tant en goût, qu’en texture, en température (via nos micro ondes très précis) voire même en présentation. Plus l’enfant s’habitue durablement à  un schéma de repas comme celui-ci, plus il lui sera difficile d’accepter autre chose.
  • Si les habitudes sont déjà trop ancrées on pourra imaginer un passage direct à des morceaux tendres, sans passer par une évolution des textures, et privilégier des schémas de prise alimentaires un peu différents, comme des apéritifs dinatoires, des pique-nique, etc… pour contourner les attentes de l’enfant et lui faire découvrir d’autres choses sans qu’il ait le sentiment que son repas a perdu sa belle allure d’antan.
  • Si votre enfant se met très (trop) vite en alerte quand il débusque une « nouveauté » dans sa bouche, et que son système sensoriel est un expert en matière de « radar à différences », favorisez des explorations de l’alimentation par tous ses sens, notamment ses yeux, ses mains, son nez… et expliquez lui ce qu’il va manger. Cuisinez devant lui, invitez le à participer. Ainsi, il pourra comprendre plus aisément ce que sa bouche découvre, et pourra plus vite apaiser ses surprises voire les anticiper. Il serait au contraire contreproductif de leurrer votre enfant, de le forcer ou d’invalider ses émotions quand il peine à avaler ce qu’on lui donne.

Vous identifiez des causes plutôt motrices :

  • Votre enfant sera aidé s’il est bien installé. Comprenez qu’il doit pouvoir avoir ses pieds en appui sur un repose pieds, et avoir la table au niveau de ses coudes quand les bras sont le long de son corps. Si votre enfant est plus petit, peut être ne tient-il pas bien son buste et a tendance à s’affaisser sur un côté ou l’autre de sa chaise haute, auquel cas n’hésitez pas à le caler sur les côtés avec des serviettes éponges que vous aurez roulées par exemple.
  • Votre enfant gagnera à intégrer une représentation de sa bouche plus claire. Comprenez par là que plus il aura une idée des limites de sa bouche en ayant par exemple exploré des objets, en découvert le lavage de dents mieux il pourra développer les nombreux mouvements que les muscles de son visage et de sa bouche rendent possibles.
  • Plus la sphère oro-faciale de l’enfant sera « libre », plus il sera disponible pour la mouvoir, que ce soit dans des moments d’échanges, de langage, de rires partagés, mais aussi dans des moments alimentaires. Pour cela, retenez que moins votre enfant aura sa tétine en bouche, plus il sera « libéré » et pourra développer ses mouvements oraux et faciaux. Retenez également que plus votre enfant aura son nez dégagé, plus il sera en mesure de fermer la bouche et de mettre en action toute la danse de la mastication. Garder une bouche ouverte avec un nez bouché freine au contraire la mobilisation de ces muscles là, en rendant l’enfant très passif, voire à terme, peu expressif (peu de mimiques, peu de possibilité de grimaces, de sons différents et/ou précis pour parler).

Vous identifiez des causes plutôt organiques :

  • il est indispensable de vous diriger chez votre médecin pour commencer par accompagner les difficultés que vous pensez reconnaitre. Il sera ensuite indispensable de bien suivre les recommandations médicales, et d’adapter les propositions que vous faites à votre enfant en fonction de ses possibilités. Si certains enfants devront éviter tel ou tel aliments, d’autres devront ajuster les textures, …Les recommandations médicales varient selon les problématiques organiques rencontrées.
  • il sera sans doute important voire indispensable de vous faire aider par un orthophoniste susceptible d’orchestrer chaque recommandation médicale en permettant à votre enfant de s’alimenter en limitant  les difficultés associées d’une part, tout en associant d’autre part les plaisirs nécessaires au maintien d’une boucle positive autour des repas.

Conclusion

Vous l’aurez compris, les causes explicatives sont multiples, et il convient de vous avouer qu’il n’est pas rare qu’elles s’additionnent et se tissent très étroitement les unes avec les autres, rendant leur exploration très complexe. Il n’est donc pas toujours aisé de les identifier d’où la nécessité de consulter un professionnel si vous vous sentez dépassés. Il est d’ailleurs important de retenir que « plus on attend, plus les difficultés peuvent s’ancrer et plus elles seront complexes à accompagner ».

Vous avez un doute ? Pourquoi ne pas consulter ?

Et s’il était trop tôt ? Et si je consultais pour rien ? Et si je stigmatisais mon enfant en m’alarmant trop vite ? 
J’entends régulièrement ces questionnements chez les parents. C’est bien légitime. Que répondre ?

  • En orthophonie, et en matière de développement de l’enfant, on ne consulte jamais « trop tôt ». Il vaut sans doute mieux vous voir « trop tôt », que « trop tard » une fois que les difficultés se sont installées et impactent éventuellement la vie sociale de votre enfant, son accès à la cantine notamment.
  • Les parents sont très bien « équipés » pour s’alerter face aux développement de leur enfant. Se faire confiance est donc non seulement légitime, mais souhaitable.
  • Les études montrent aujourd’hui que plus on propose tôt des morceaux aux enfants, plus ils en mangent tôt. Le gouvernement vient d’ailleurs de publier des recommandations pour la mise en place de la diversification, appuyant notamment sur la nécessité de la mise en place très précoce des diversités de textures et de morceaux.
  • Dans le développement normal, les choses se jouent entre 8 et 15 mois. C’est donc bien dès cette tranche d’âge que ces problématiques de morceaux doivent vous interroger, voire vous amener à consulter si les difficultés persistent malgré votre mobilisation.
Sources : 

Développement de l’acceptabilité des aliments solides. A partir de quel âge les morceaux sont-ils acceptés par l’enfant sain ? Sophie Nicklaus, Carole Tournier

Mastication et ODF Marion Royannez


Santé publique France accompagne les parents pour prendre en main les nouvelles recommandations sur la diversification alimentaire des tout-petits