Mon enfant refuse de manger
Il arrive que des enfants présentant des Troubles Alimentaires Pédiatriques refusent catégoriquement de goûter de nouveaux aliments alors qu’ils ne présentent pas (ou plus) de contraintes développementales majeures ; ils savent gérer toutes les textures alimentaires (purées / morceaux), ils ne présentent pas(ou plus) de difficultés sensorielles en dehors de la situation des repas. Ces enfants donnent l’impression qu’un blocage psychologique les empêche de partir à l’aventure de leur assiette.
Que faire ?
L’installation
Il convient pour commencer de vérifier que l’installation de l’enfant est optimale pour le repas.
Il est nécessaire que l’enfant puisse être assis durant le repas, et qu’il puisse rester relativement calme. Pour cela, les pieds doivent pouvoir trouver un appui, soit au sol, soit sur un barreau de chaise, soit sur un support spécifiquement installé pour l’enfant. S’il est assis à la bonne hauteur, il voit aisément tout ce qu’il y a sur la table. Ses coudes reposent quasiment sur la table sans qu’il n’ait à trop ouvrir les bras. Enfin, il partage son repas avec sa famille.
Cela constitue une première étape préalable permettant à l’enfant de s’engager plus facilement vers l’alimentation familiale. Le corps ne doit pas faire d’effort, il doit être tranquille, et l’environnement du repas doit être favorable en offrant un message sensoriel et émotionnel accessibles.
La routine du repas
Pour que le corps de l’enfant se prépare au repas, il est important d’organiser des routines annonciatrices. Au fil des jours, ces rituels permettent à l’enfant de comprendre le repas, de s’y préparer et de s’en réjouir si le climat qu’on entretient est favorable. Le système digestif réagit fortement à ces signaux externes (les bruits, les odeurs, les messages visuels,…) : il réveille l’appétit et se prépare pour la digestion qui suivra.
Au quotidien, dès le plus jeune âge, l’enfant peut assister à la préparation du repas, et participer à mettre la table. Tous les messages positifs qui parsèment ces routines préparent favorablement le cerveau de l’enfant à se réjouir du moment qui s’annonce. Ensuite, durant le repas, la stabilité des habitudes familiales va permettre à l’enfant d’être plus serein et éventuellement plus disponible pour de nouveaux essais. La nature des habitude importe peu, ce qui compte est leur régularité au fil des jours. Ainsi si certaines familles marquent chaque partie du repas par des déplacements ou des changements d’assiette tandis d’autres imaginent des choix pour chacun des membres de la famille et appellent une certaine autonomie chacune peut s’autoriser à fonctionner selon ses habitudes à condition de ne pas trop les modifier d’un jour à l’autre.
La stabilité des propositions faites lors du repas, et des réponses des parents conditionnent fortement le comportement de l’enfant. Ces routines représentent un préalable pour retrouver du plaisir à se mettre à table.
La connaissance des aliments
Pour s’alimenter sans appréhension, il est nécessaire d’avoir accumulé de nombreuses expériences positives avec les aliments. Or les enfants qui présentent ces comportements ont souvent non seulement accumulé beaucoup d’histoires négatives autour du repas (gronderies, forçage, chantage, mensonges,…), mais aussi finalement très peu d’expériences sensori-motrices avec les aliments (n’ont ni touché, ni mis en bouche, ni sentit, …).
A mesure que l’enfant grandit et que son appréhension perdure, il accumule d’une part un manque d’expérience, mais aussi une somme de croyances voire un manque de connaissances autour des aliments.
Or pour accroitre son sentiment de sécurité face aux aliments, l’enfant a besoin de “maîtriser” le sujet. L’enfant doit savoir reconnaître les aliments qu’on lui propose de manger et savoir les nommer. S’il sait décrire l’aliment qu’on lui sert, il est alors dans le bonnes conditions pour se lancer à l’aventure de son ingestion : est-il froid ? chaud ? glissant ? rugueux ? dur ? mou ?…
Les connaissances “théoriques”
Pour l’aider, ses parents peuvent donc d’une part inviter leur enfant à faire des expériences avec des aliments, mais aussi contribuer à augmenter ses connaissances.
Nous pourrions d’ores et déjà imaginer différentes occasions à saisir pour accompagner l’enfant.
Pour augmenter ses connaissances, de nombreuses occasions vont se dessiner à travers plusieurs types d’activités :
- le moment des courses ou du rangement de celles-ci dans les placards,
- une promenade au marché
- le partage d’un jeu de société évoquant les aliments
- le partage d’un livre pour enfant autour des sujets de l’alimentation (les aliments, la digestion, le corps humain, la nutrition, …)
- partir en exploration sur internet pour tout savoir sur les aliments
- regarder ensemble un documentaire sur le sujet pour en discuter ensuite
- mettre en place un potager chez soi… ou aller en découvrir un autour de chez soi
- nourrir des cochons d’Inde qui raffolent des légumes
- découvrir des livres de recettes ou abordant les potagers
- prendre des photos et créer des albums
- commenter des photos d’aliments
- Etc…
Nous pourrons revenir sur le sujet dans un futur article si vous le jugez nécessaire.
Les connaissances “expérimentales”
Par ailleurs, l’enfant sélectif n’a pas d’expérience très riche ni très sereine avec les aliments. Avec le projet de “manger” ou de “goûter”, l’enfant s’est emparé peu positivement de la richesse des sensations vécues, il n’était pas prêt pour cela. Il a au contraire sans doute tissé ensemble ces rares expériences alimentaires avec des émotions délétères. Il est important de remédier à cela. En modifiant la finalité des expériences vécues (ce n’est pas pour manger mais pour découvrir), en ajustant le climat accueillant ces expériences (la pression familiale et les enjeux santé sont remplacés par un climat ludique), l’enfant va plus facilement enrichir son vécu sensoriel et modifier les émotions associées.
C’est pourquoi, pour augmenter ses expériences, nous recommandons de réaliser en dehors des temps de repas, des ateliers de découvertes avec l’enfant, où le parent n’a aucune attente, juste celle de partager un bon moment. Si l’enfant préfère au départ rester en retrait en ayant par exemple le rôle de photographe, c’est déjà un bon point. Quand le parent exprime son plaisir à éplucher, découper, écraser, cuire, … l’enfant se sent, au fil des semaines, toujours plus en sécurité et peut sans doute voir très vite son rôle évoluer. Il peut passer de “photographe”, à “infirmier de bloc” en proposant les différents outils à son parents (couteau, torchon, casserole, carotte dans le frigo, …), à “chirurgien assistant”, etc, etc…
Pour se révéler efficaces, ces activités doivent respecter certaines règles :
- les mots de l’adulte qui évoquent ce qu’il fait / vit / ressent, doivent rester positifs.
- chaque sensation éventuellement désagréable pour le parent doit être exprimée autrement : l’autodérision (ex : “vais-je réussir cette super mission pour “papa / maman” aventurière ? Si je ne me transforme pas en souris dans les 5 prochaines secondes, j’aurais réussi !), l’humour (ex : oh mais cette tomate me regarde avec ses mille petits yeux ? tu vas voir ce que tu vas voir !), l’exagération (ex: ohhhh les grains de cette tomate veulent entrer dans ma manche pour me dévorer le bras ! Au secours !! avec un air “surjoué”)
- Si l’enfant verbalise spontanément ses sensations de manière peu positive, ses parents peuvent reprendre les propos entendus en les reformulant pour permettre à l’enfant de mettre un peu de distance avec ses sensations. C’est la partie la plus difficile pour les parents. C’est pourquoi à la maison, il peut être astucieux de ne pas interroger l’enfant durant ces activités, et de nourrir les échanges avec les anecdotes et récits de l’adulte.
Il est par ailleurs possible de parler de tout autre chose en réalisant ces activités “découvertes” en abordant tous les plaisirs de l’enfant. Ainsi les parents peuvent évoquer Harry Potter, le basket, les vacances, la balançoire, les visites chez mamie, etc… L’idée est de tisser ces expériences possiblement peu réjouissantes pour l’enfant avec des images mentales très positives, mais aussi de détourner l’attention de l’enfant qui trop fixée sur l’activité peu participer à ancrer les représentations construites.
Augmenter les connaissances des aliments est donc à la fois très simple sur le plan théorique, et subtile sur le plan pratique. Il peut être difficile pour les parents d’engager seul ces activités “expériences” tant les règles à respecter vont souvent à l’encontre de leur comportement spontanés de parents compatissants. Il est parfois nécessaire de savoir prendre un peu de distance pour pouvoir accompagner son enfant. C’est pourquoi la mise en place d’un suivi auprès d’un professionnel de santé peut s’avérer nécessaire, notamment quand l’enfant a solidement ancré son fonctionnement au gré des années vécues. Ces stratégies, ces “savoirs être” décrits pour augmenter les connaissances de l’enfant, font en réalité partie des compétences de certains professionnels consultés quand les enfants refusent de manger.
L’autonomie
Pour que le repas ne se transforme pas en épreuve pour l’enfant et ses parents, il est nécessaire qu’il développe au fil du temps suffisamment d’autonomie pour aller seul au devant de son alimentation. Or les enfants sélectifs sont également souvent ceux qui tardent à développer leur autonomie : ils manquent de motivation pour s’alimenter seul, or ces mouvements à priori faciles à réaliser ne le deviennent qu’à force d’un certain entraînement moteur. Il suffit de changer nos outils (passer aux baguettes par exemple) pour réaliser à quel point la maîtrise de couverts relève d’un automatisme acquis au gré d’un apprentissage moteur.
Manger seul avec ses doigts est un premier savoir faire indispensable qui permettra à l’enfant de manger quoi qu’il arrive. D’ailleurs lors de la mise en place de l’apprentissage de la cuiller, les enfants lambdas passent presque tous par l’étape où ils prennent avec les doigts un morceaux qu’ils placent dans leur cuiller. Pouvoir manger seul avec ses doigts permet aux enfants de prévenir leur bouche des caractéristiques de l’aliments qu’elle s’apprête à recevoir : dur / mou / chaud / froid / glissant / “montagneux” (= avec des irrégularités)/… Plus l’enfant mange avec ses doigts, plus il développe des connaissances “expérimentales” des aliments qu’il ingère. Ce savoir faire est donc à valoriser autant que faire se peut. L’appréhension qui réside encore parfois chez les enfants sélectifs à prendre les aliments avec leur doigts doit être dépassée via les activités citées ci-dessus. C’est pourquoi cette autonomie ne peut représenter une priorité dans l’évolution de l’enfant.
Manger seul une partie de son repas marque un cap dans la vie de l’enfant. Cela s’observe classiquement lorsque l’enfant a plaisir à manger mais que la maîtrise des outils est encore imparfaite, ou que le contenu de l’assiette réjouit peu l’enfant. Nous pouvons comprendre que les enfants sélectifs sont souvent peu motivés par les propositions nouvelles qui lui sont faites, et manque d’élan pour s’alimenter seul. Ainsi, il paraît important, même s’ils savent maîtriser leurs couverts, que les parents aident encore un peu plus longtemps leur enfant sélectif s’il le demande.
L’enfant ne peut additionner les efforts fournis, l’aider à manger des aliments nouveaux peut représenter un passage normal dans son évolution. Par ailleurs, plus il va se concentrer sur le nombre de cuillerées géré seul, moins il sera concentré sur le reste, moins il lui sera difficile d’avancer au coeur de ce repas fait d’aliments nouveaux pour lui.
D’ailleurs, il peut être intéressant de se concentrer sur d’autres choses pendant le repas pour être moins attentif à ce qui nous réjouit peu. Compter des cuillers portées en bouche peut donc être un passage dans le parcours de l’enfant.
Au fil du temps, l’enfant mangera seul la totalité de son repas. Il sera sans doute devenu un enfant :
- plus à l’aise à table,
- capable de repérer les signes annonciateurs du repas,
- habile pour nommer les aliments du jour,
- plus serein pour faire quelques essais
Cette étape “manger seul la totalité de son repas”, signe donc une phase importante de son évolution. S’il n’est pas encore l’enfant facile à nourrir au quotidien, il est à présent capable :
- d’enrichir chacun de ses progrès,
- d’améliorer l’amplitude de ses découvertes
- d’améliorer la quantité des aliments “peu enthousiasmants” ingérée.
Plus l’enfant est grand, plus son parcours d’évolution va demander du temps, et donc de la patience mais aussi de la persévérance. Ce n’est qu’au gré d’efforts maintenus, réguliers, que l’enfant peut progresser réellement. L’erreur à ne pas commettre serait de vouloir tout faire en même temps, ou penser qu’une semaine suffira pour aider cet enfant sélectif.
Pour accompagner l’enfant tout au long de son évolution, il est motivant d’identifier ses acquis, ses progrès, ses objectifs. Pour cela, vous trouverez en fin d’article un document, à imprimer qui reprend et symbolise les différentes étapes à franchir que nous avons abordé dans cet article. Vous pourrez ensuite les plastifier, les découper et les afficher où bon vous semblera, à moins que chaque pictogramme ne devienne une récompense pour l’enfant ? Le tout est de valoriser les étapes franchies, tout en offrant aux aidants (les parents) une vision d’ensemble du processus.
Vous trouverez également quelques supports imagés pour motiver la participation de l’enfant aux activités visant à augmenter ses connaissances des aliments (le jeu des métiers).
Gardons à l’esprit que cet enfant sélectif ne deviendra possiblement jamais un enfant qui se réjouit à l’idée de manger, mais tel n’est pas le projet ? Si ?
Cette petite provocation de fin d’article est une invitation à la réflexion. Que visons-nous vraiment dans l’accompagnement de ces enfants sélectifs ? Qu’ils deviennent gourmets ? Mangent “de tout” ? Soient en bonne santé ? Puissent partir en classe verte ? Que les repas soient moins difficiles ? Qu’il y ait moins de conflits à la maison ? Qu’ils puissent rester à la cantine ?…
Et vous ? Que visez-vous pour votre enfant ? ou pour votre patient ?
N’hésitez pas à partager vos impressions dans les commentaires.
Article très intéressant. Ici mon fils ne mange que si on l’occupe. Il a 2 ans et 3 mois. Manger ne l’intéresse pas vraiment, c’est donc difficile. J’appréhende déjà la cantine à l’école dans 1 an…