Pourquoi « il ne parle toujours pas » ?

Pourquoi « il ne parle toujours pas » ?
Comment pouvons-nous expliquer ce retard chez un enfant ?

  1. Un manque d’appétence sociale.
  2. Une perte auditive OU des difficultés pour traiter des informations auditives.
  3. Une contrainte visuelle OU dans le traitement des informations visuelles.
  4. Une difficulté à coordonner toutes les informations qui émanent de l’environnement.
  5. Des imprécisions dans la réalisation de gestes fins qui permettent de produire du langage.
  6. Une difficulté à programmer l’enchaînement des gestes de la parole.
  7. Un manque d’expériences porteuses de communication
  8. Une « mémorisation » difficile des modèles linguistiques.
  9. Un manque d’accès à des modèles ajustés.
  10. Un défaut de plaisir

Explications …

Avant de parler il faut comprendre

…et pour comprendre il faut être soumis à des routines quotidiennes. Au fil du temps, l’enfant va produire des mots… oui mais…. S’il ne parle pas, à quoi cela peut être dû ?

1. Un manque d’appétence sociale

Habituellement, l’enfant s’intéresse aux autres, à leur visage, à leur voix. Il s’oriente vers la personne qui lui parle. Il sollicite son entourage à travers les expressions de son corps (tend la main, pointe du doigt, regarde alternativement l’objet et la personne à qui il s’adresse) ou ses productions orales (pleure, gémit, produit des syllabes ou des petits mots).

Attention à ne pas confondre des difficultés dans les interactions sociales avec un manque d’intérêt de l’enfant. Ce dernier est naturellement fréquemment orienté vers les autres, donc, petit, la répétition du « désintérêt » doit absolument alerter.

Photo de Lucile Joannès

2. Une perte auditive OU des difficultés pour traiter des informations auditives

L’enfant aime habituellement quand on s’adresse à lui avec une voix et une prosodie (=mélodie de la voix) ajustées. Il reconnaît la voix des personnes proches, mais aussi les bruits de la maison (le micro-onde, la porte qui s’ouvre, l’eau qui coule dans la baignoire, …). Il tolère les bruits habituels, puis s’habitue peu à peu à ceux les plus agressifs (sèche-cheveux, aspirateurs, …). Avec le temps et le soutien qu’on lui offre à chaque fois que cela lui fait peur, ses appréhensions diminuent ; il comprend mieux.

Il arrive que le traitement de ces informations auditives demeurent compliquées : l’enfant ne réagit pas quand on l’appelle, ou se montre gêné par certains bruits : colères, pleurs.
Attention à ne pas confondre une agitation motrice ou un désintérêt de l’enfant avec une perte auditive. Les enfants privés d’entrées auditives de qualité sont dans le même temps amputés d’un des canaux sensoriels qui participent à la compréhension du monde environnant et à l’anticipation nécessaire dans la précision progressives des explorations motrices notamment.(Voir 4.)

3. Une contrainte visuelle OU dans le traitement des informations visuelles

Classiquement, l’enfant montre dans son comportement des capacités pour observer et analyser son environnement : c’est pourquoi il retrouve ses jouets préférés assez aisément dans la maison ou dans son coffre à jouets, il remarque les nouvelles choses autour de lui, peut les montrer à son entourage, partager un intérêt visuel pour le monde environnant.

Or il arrive que l’enfant soit si « agité » qu’il ne parvient pas à montrer ses compétences visuelles. En réalité, il se peut que ce soit l’inverse : des difficultés visuelles qui amènent des agitations motrices importantes. La vue reste donc à contrôler avec un bilan neurovisuel auprès d’un orthoptiste.

4. Une difficulté à coordonner toutes les informations qui émanent de l’environnement.

Au gré des expériences, des activités quotidiennes et routinières que portent les parents pour leur enfant en bas âge, ce dernier va coordonner les informations sensorielles qu’il perçoit pour faire sens. C’est ainsi qu’en entendant le bruit du micro-ondes, il va anticiper son lait qui arrive. Face au bruit de la porte de la maison qui s’ouvre, il se dirige rapidement pour vérifier ce qu’il se passe, à moins que déjà il ne se réjouisse de comprendre que c’est « papa qui rentre »… Par extension, plus tard, en entendant le mot « bain » après son activité préférée du soir, il va comprendre qu’il sera bientôt dans la baignoire.
Par ailleurs, la nuit, nul besoin d’allumer pour qu’il retrouve son doudou préféré : au toucher, à l’odeur, il le reconnaît. L’expérience des sensations conjointes du doudou se sont coordonnées pour former « un tout », lui permettant de l’identifier via différentes entrées sensorielles : toucher, odeur, vue, bruit, et même le mot « doudou ».
Ainsi, peu à peu les informations sensorielles perçues tissent dans le quotidien de l’enfant un terrain solide qui l’aide à comprendre son environnement, puis à réagir de manière adaptée et à anticiper.

Pourtant chez certains enfants, ce n’est pas si simple de coordonner toutes ces informations et de faire sens. Alors, appréhender le monde devient difficile pour lui, et il n’est pas rare de le voir développer des troubles du comportement, ou des attitudes qui interrogent (faire tourner chaque jouet qui peut l’être, refuser la nourriture si elle n’est pas de la bonne couleur, …)

Photo de Lucile Joannès

Solidement intriquée et successive à la compréhension, se monte peu à peu la production du langage.

5. Des imprécisions dans la réalisation de gestes fins qui permettent de produire du langage : les praxies bucco-faciales.

Parler nécessite une habileté dite « motrice ». L’enfant, progressivement au cours des 3 premières années de sa vie, affine le contrôle des gestes moteurs fins que lui demande la production de la parole. Ainsi, il précise les mouvements de sa langue, de ses ses lèvres et ses joues.

Quand les enfants sont peu habiles sur ce plan, cela impacte leur aisance pour parler. Le déficit de cette « boucle motrice », se retrouve sur d’autres compétences comme : faire des bisous, se moucher, bruiter les animaux, mais aussi sur le plan alimentaire : mastiquer voire mettre en bouche des aliments aux textures diverses. On observe parfois un visage peu « tonique », peu « expressif », une bouche entrouverte au repos.

6. Une difficulté pour programmer l’enchaînement des gestes de la parole.

L’enfant est pourvu d’un « ordinateur de bord » qui lui permet d’enchaîner naturellement avec sa bouche les différents gestes fins qui permettent de parler. La bouche de l’enfant a très tôt les mêmes compétences que les doigts du pianiste aguerri.

Or, il arrive qu’un enfant soit en mesure de produire séparément chaque son de notre langue, mais peine à les coordonner, les enchaîner, les programmer selon ce qu’il projette de dire.
Ainsi, ses productions sont le plus souvent inintelligibles en dehors de la sphère familiales, avec des mots écourtés, déformés. On observe souvent en parallèle des difficultés motrices « autres », avec notamment une maladresse générale et une fragilité dans l’acquisition d’autres « chaînes de gestes coordonnés » (manipuler des couverts, se laver, s’habiller, …)

7. Un manque d’expériences porteuses de communication

Le plus souvent, le quotidien des tout petits est particulièrement porteur d’activités partagées et routinières. En effet, les adultes mettent à sa disposition des occasions d’expériences sensori-motrices (= l’enfant « vit » avec ses sens, son corps et ses émotions) et d’échanges de communication dont la redondance porte le développement. Face aux découvertes de l’enfant, les adultes commentent, en offrant un langage particulièrement adapté à l’enfant.

Or, il peut arriver que l’enfant ne porte pas son entourage vers ces activités partagées : il peut manquer d’appétence pour cela (1), montrer une grande agitation, un comportement difficile à accompagner ou à comprendre (2 ; 3 ; 4). Il peut aussi aussi arriver que certaines situations de vie favorisent peu les échanges : quand les enfants sont concentrés sur les écrans… ou que leurs parents le sont.

8. Une « mémorisation » difficile des modèles linguistiques

Pour « retenir » des modèles linguistiques (= des mots, des phrases), il est nécessaire que ceux-ci soient régulièrement proposés à l’enfant dans son quotidien (plus il entend tel mot, plus il est en mesure de le reproduire), mais aussi que ceux-ci soient clairement exposés pour être accessibles au niveau de l’enfant.
Or, grâce à un langage « idéalement et surtout naturellement programmé par les parents », l’enfant va commencer à dire les mots qu’il entend le plus souvent.

Pourtant, quand l’enfant peine à entrer dans le langage, il n’est pas rare que la famille perde le fil du modèle à offrir, et s’exprime de moins en moins « pour l’enfant ». Parfois, encore, l’enfant passe beaucoup de temps devant les écrans. Or ce langage  proposé, si répété soit-il n’offre absolument pas le bon contexte pour que l’enfant puisse s’en saisir, voire pire encore, va nuire à l’appétence de communication qu’il porte pourtant naturellement autrement.

9. Un manque d’accès à des modèles ajustés

Le langage des parents est attendu :
– « facile à écouter » : non noyé dans un continuum sonore tel que celui de la radio par exemple,
– « aisé à regarder » : produit en face de l’enfant pour qu’il voit la bouche et les expressions du visage de celui qui parle,
– « simple à comprendre » : soutenu par plusieurs canaux d’informations sensorielles : j’entends, je vois, je touche, je manipule.
Les parents, savent de façon innée comment proposer un modèle de langage cohérent avec les besoins de l’enfant. Ils s’adressent à lui au gré d’un modèle favorisant l’accès au sens. Ainsi ils disent « en contexte », répètent, intonent leur langage d’une certaine manière, montrent du doigt, et proposent des mots souvent parfaitement ajustés au niveau de leur enfant. Pour l’enfant on observe qu’il entend le mot biberon, voit le biberon, le touche, et entend le lait qu’on secoue dedans, soupèse celui-ci entre ses mains : il retrouve les sensations connues la veille autour de ce mot « biberon », mot qui s’enregistre ainsi durablement.

Il arrive que l’environnement perde « la recette » pour proposer à l’enfant ce dont il a pourtant besoin. En effet, quand ce dernier réagit peu, ou étrangement, face aux sollicitations proposées, il peut s’avérer difficile de s’ajuster à lui en utilisant la bonne voix, le bon vocabulaire, les phrases simples, courtes facilitantes au départ. Les enfants agités déjà évoqués, peu enclin aux échanges, peu attentifs visuellement complexifient la tâche de leurs parents. Les échanges naissant habituellement naturellement deviennent soudainement moins évidents à pressentir.

10. Un défaut de plaisir

Nous ne le dirons jamais assez : le plaisir est le moteur de tout apprentissage. Les enfants reproduisent naturellement les choses qui leur procure du plaisir. C’est donc là le fil conducteur de tout apprentissage, y compris celui du langage.

Ainsi, plutôt que de sanctionner un enfant qui ne parle pas en le faisant répéter, oui en lui refusant ce qu’il demande via des gestes ou des regards plutôt que via des mots, il est indispensable de conduire l’enfant privé de langage oral vers une communication plaisante, quel que soit le canal utilisé.

Photo de Lucille Joannès

Il suffit parfois d’un seul petit grain de sable dans les rouages du développement pour que l’enfant tarde à développer son langage.
Si vous êtes inquiets, vous pouvez solliciter un orthophoniste. Il réalisera un bilan de langage et vous accompagnera par la suite s’il estime qu’un soutien est nécessaire.

Aller plus loin : info-langage.org

Prise en charge Orthophonique d’un enfant de moins de 3 ans

Langage oral : le tout petit, ses parents et l’orthophoniste

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Photo de Lucile Joannès