Reeducation orthophonique et Chewy Tubes

Reeducation orthophonique et Chewy Tubes.
Comment les utiliser et pourquoi ?

Cet article émane d’une demande intéressante apparaissant sur le dernier sondage proposé. Que faire avec les Chewy Tubes, comment les utiliser concrètement ?
Je vous propose de vous décrire ce que je fais avec les chewy tubes, mais avant de me lancer, je tiens à vous expliquer pourquoi en repartant dans quelques notions vulgarisées de développement qui appuient ma pratique au quotidien. Savoir pourquoi, vous permettra aussi sans aucun doute de développer vos propres idées et d’aller plus loin encore. Encore un article dans lequel les initiés en oralité ou en développement n’apprendront rien, mais le projet étant d’avancer tous ensemble vers ces prises en charge mal connues… rien d’étonnant à ce que je livre avec plaisir ce genre d’information.

Je m’excuse par avance auprès de ceux qui ne veulent que le « pratico-pratique »… Je ne peux m’y résoudre. Pour livrer ma pratique, j’ai besoin d’expliquer pourquoi je fais ainsi, parce que, tout bêtement, dans mon quotidien professionnel c’est ainsi que je procède (quitte à fatiguer certains…) : je m’interroge perpétuellement, et c’est par ce biais que je découvre quelquefois des astuces rééducatives.
Vous pourrez toujours sauter quelques lignes si « le pourquoi » ne vous importe peu…

Comprendre ce qu’on va faire et pourquoi on va le faire
Souvenez-vous de cette notion déjà abordée plusieurs fois à travers plusieurs articles : homonculus sensoriel et moteur fonctionnent ensemble. Le sensoriel précède le moteur au même titre que la compréhension précède l’expression en langage oral, vous me suivez ? Avec cette comparaison, je précise qu’ils s’entraînent l’un l’autre et que la répétition des schémas permet une maturation cérébrale qui va permettre de porter l’intégration des praxies, notamment en ce qui nous concerne, bucco-faciales (quoi que, celles-ci s’inscrivent dans un fonctionnement corporel global et non isolé comme il serait fâcheux de le penser).
Imaginez ce cerveau qui mature, avec les réseaux qui se créent en fonction de la stimulation sensorielle proposée puis répétée, cela, j’insiste, dans une cohérence des actions. Dans le développement normal, le bébé va devenir peu à peu expert dans un schéma moteur, schéma qui va amener un autre entraînement, qui répété va s’intégrer et ainsi de suite.
Dans le développement « perturbé / entravé », l’enfant rencontre une « contrainte », qui l’oblige à prendre un chemin plus long pour arriver au même résultat. Pensez à cette cheville qui vous fait mal, vous fait boiter, et vous amène quelques temps plus tard des douleurs cervicales. Certains vont parler de positions antalgiques qui retentissent sur d’autres parties de la chaîne musculaire. Pensez-vous qu’en visant le soin des cervicales, nous allons être efficace ? Oui… et non. Oui temporairement. Mais nous pouvons craindre une chronicité de la douleur si nous continuons de boiter par ailleurs.
Vous me suivez toujours ? Cet aspect est fondamental à percevoir pour identifier clairement ce que nous allons proposer aux enfants en matière de prise en charge bucco-faciale.

Nous en arrivons donc au premier point :
Quelle hypothèse d’explication face à la difficulté bucco-faciale observée chez cet enfant ?

Il convient d’identifier lors du bilan, l’histoire médicale, le développement et le vécu sensoriel de l’enfant, afin de déterminer si la fragilité / le déficit bucco facial s’inscrit sur :
– un étayage sensoriel fragile,
– une hypersensibilité,
– un traumatisme de la zone orale ayant « perturbé l’intégration sensorielle »
– un trouble visuel (il faut y penser face aux petits !)
– une cause neurologique / neuromusculaire
– un aspect plurifactoriel additionnant plusieurs de ces éléments

Pour rappel, un traumatisme de la zone orale peut entraîner une perte de l’appétence de la découverte via cette entrée orale, OR une baisse des stimulations sensorielles orales peut entraîner une hypersensibilité du toucher intrabuccal. Le serpent se mord la queue…

En fonction de nos hypothèses diagnostiques on va proposer des activités plus axées sur l’un ou l’autre des domaines. Quoi qu’il en soit, nous garderons toujours en tête cet aspect multimodal sensoriel et nos connaissances sur le développement de l’enfant afin de stimuler ce qui peut / doit l’être selon l’ordre /l’organisation « classique » du développement. Nous « compenserons » par ailleurs au besoin.
=> Le chewy tube va donc possiblement faire suite à beaucoup d’autres activités, plus globales sur le plan corporel, notamment face à un petit de 2/3 ans.

Ne voulant trop digresser face à mon propos initial, je vous propose seulement de réfléchir à propos, par exemple, de la notion de « l’effet Mac Gurk », les notions de transfert de modalités sensorielles avec des expériences comme celle des tétines lisses et rugueuses  (Gentaz et Mazens 2006) afin que vous puissiez vous approprier mon propos si cet aspect multimodal ne vous paraissait pas évident.
Alors imaginons à présent ce que l’on va pouvoir faire avec ces chewy tub ? Je ne vous confierai que mon expérience personnelle, comme pour beaucoup de choses en orthophonie, il y a bien d’autres manières de faire.

Pour l’anecdote, là où je travaille, j’ai dû me passer de chewy tubes pendant longtemps, et cela m’a vraiment aidée à savoir :
– pourquoi je voulais des chewy tubes,
– pourquoi « plusieurs sortes c’est pertinent »,
– pourquoi « 2 identiques vendus » l’est aussi …
– et surtout : « comment faire sans chewy tubes ».

Deuxième point : comment amener les choses à l’enfant ?
Pour les petits, dont il est question dans ce blog, je ne propose jamais le chewy tube comme un outil / jouet de rééducation qu’ils vont DEVOIR utiliser. On dira plutôt que je vais tout faire pour qu’ils aient envie de s’en emparer pour les bonnes raisons : découverte sensorielle et entraînement moteur que je souhaite qu’ils aient au regard de leur profil initial. Je ne verbalise donc rien de directif autour du chewy tube. Je cherche à rendre le plus écologique possible la découverte sensorielle des enfants, et je pense également beaucoup à l’aspect émotionnel « positif ».

Je montre…
Je me montre…
Je me montre avec le chewy tube comme je me montre avec un chewing-gum ou en train de lire, d’écrire, de parler, de chanter… Je montre une activité qui serait comme naturelle pour moi (nous sommes d’accords, ça ne l’est absolument pas, hein ! Je ne me promène pas dans ma vie avec des chewy tubes au bec ;-))… Juste des chewing-gum 😛
Selon ce modèle, dernièrement, je suis allée chercher mon petit patient, tout en mordillant nonchalamment mon chewy tube vert menthe (effet assuré dans la salle d’attente). J’avais négligemment posé le même sur une table à sa portée… et quel hasard … en le voyant, il s’en est emparé, et m’a instinctivement imitée. Il l’a également ressorti de sa bouche, ne l’a pas mordillé comme moi (qui faisais autre chose en même temps). Mais à force de me regarder… il devrait y venir. C’est en tout cas dans cette direction que je me dirige. Il faut avouer que je m’éclate complètement avec ce Chewy Tube (le croit-il)… et je raffole de ce côté percé qui permet de jouer avec sa voix dedans… qui donne envie aux enfants d’y revenir. J’envoie implicitement à l’enfant ce message qui dit « hum, c’est bon ce truc là… quelles sensations agréables ! »

Pour varier les sensations : changer de type de chewy tube (moins souple ou plus souple), de formes de chewy tubes (il en existe beaucoup : cliquez sur l’image en haut de l’article, Amazon en propose de nombreux) plus froid (sorti du freezer), plus chaud (sorti d’un bain d’eau chaude), goûtu (dans une assiette contenant des miettes de biscuit, ou trempé dans le nutella, la confiture, …)

Alors oui, mes chewy tubes sont drôlement plus mâchouillés par ma personne que par les enfants finalement… Mais c’est ainsi que je fais. Je m’appuie, vous l’aurez compris, sur l’entrée visuelle et le transfert de modalité. Que l’enfant prenne le chewy tube en main est déjà une bonne chose pour commencer. La patience et la répétition de mon action font le reste. Une fois que l’enfant parvient pour de mon à reprendre mon action de « mâchouillage de chewy tub », je commence à varier les possibilités, sans JAMAIS chercher à surprendre l’enfant sur le plan sensoriel. Ainsi nous allons chercher les chewy tubes ensemble dans le frigo, oui nous allons les tremper dans les miettes, non sans avoir au préalable pris le temps de transformer les biscuits en miettes, … Ensuite, je mets à disposition des « possibilités » d’actions, afin que l’enfant puisse aussi mener sa propre aventure sensorielle.
Pour finir, évidemment, je mets les parents en charge d’activités similaires à la maison, avec ou sans chewy tubes.

3ème point : et quand on n’en a pas ?
Et oui « sans chewy tube »… ça a été plus compliqué en consultation, mais les hasards font parfois de drôles de choses. J’ai plus volontiers laissé le biberon de la poupée se faire mâchouiller, ou quelques Playmobils 1.2.3. sucer de tout leur long. Non, je vous rassure, je ne les mâchouillais pas pour ma part… mais je mimais certainement si bien que ça a souvent provoqué chez les enfants des activités orales inattendues. Le hasard a bien fait les choses finalement. Et puis, les vaches peuvent tout autant que les chewys tubes allez patauger dans la boue nutella ou dans le sable à la mer. Suffit juste de jouer les « langues serviette ». Sans chewy tube, j’ai découvert que les couverts de dînette et les spatules, les légumes en plastique, … n’ont pas tous la même consistance 😉 Pas pratique me direz-vous ? Certes, sur le plan hygiénique, et côté usure, peu pratique, mais sur le plan écologique, j’étais tout à fait satisfaite. Les parents ont d’ailleurs volontiers acheter biberon de poupée ou dînette pour la maison.
Et pour mes séances « gourmandes » avec les plus grands, j’ai redécouvert les Carambar et tout leur panel sensitif et gustatif. Extraordinaire !

Bref vous l’aurez compris, le chewy tube vendu pour entraîner la mastication n’est dans ma pratique pas utilisé pour de la mastication pure et dure, mais pour lancer des mouvements de cet ordre via une activité détournée (sensorielle visuelle, sensitive, gustative et émotionnelle avant d’être motrice) non alimentaire au départ mais devant le devenir pour être appelée ainsi. La mastication, je pense, chez les enfants petits, ne s’entraînent pas en séance d’orthophonie, mais lors des repas et des goûter, lors du mâchouillage de bout de pain dans le caddy, ou du suçotage de boudoir dans la chaise haute. Un gros bout de carotte cuite attrapée à pleine main ? ou une banane… En orthophonie, chez les enfants petits, on initierai les bases sous-jacentes à cette activité finale ? Je le pense en tout cas. Autorisez-vous quelques commentaires en bas de cet article pour le complétez ou le critiquer, vos avis et expériences m’intéressent ! Je pense que ce sujet est loin d’être clos sur le plan scientifique en tout cas. Une collègue me disait d’ailleurs dernièrement qu’aux USA, le chewy tube n’est plus utilisé.

Je poursuivrai prochainement avec un article sur mon utilisation du Z-vibe.

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