Oralité, si les massages ne suffisent pas…

Oralité, si les massages ne suffisent pas… Voilà une question qui revient quelquefois…

« Je sens que la réponse n’est pas là uniquement… »
Voilà une phrase issue d’un mail que je reçois hier et qui m’a beaucoup touché. Celui d’une collègue, dont l’enfant présente des troubles de l’alimentation : une fillette de 3 ans qui a bénéficié de massages pendant 8 mois, mais pour qui l’alimentation est encore mixée, avec persistance des hauts le cœur face aux irrégularités éventuelles de sa purée.
J’ai décidé de partager ma réflexion avec vous tant cette situation me semble revenir fréquemment.
Les massages : combien de temps ?
Les massages ça suffit ?
Pourquoi prendre en charge c’est si compliqué finalement ?

Je ne reviendrai pas sur l’aspect « pour ou contre » des massages, ni sur leur fonctionnement que j’ai déjà abordé ici. Je les propose pour ma part dès que cela peut se faire, d’une part parce que je me sens à l’aise avec cette pratique, d’autre part parce que les familles auxquelles je les propose sont en mesure de les réaliser. Sinon, je fais autrement… car oui il arrive que cela ne soit pas possible de proposer les massages.
Bref, la réflexion de ce jour n’est pas là.
Combien de temps les massages ?
Aujourd’hui je souhaite tout d’abord aborder la notion de la durée des massages et avancer ce que j’identifie comme étant une limite à ces massages
Mme Senez dit : 7/7/7 : les massages durent 7 secondes 7 fois par jour pendant 7 mois. Elle évoque les changements rapides, et alerte quant aux abandons précoces des massages avec retour rapide de l’hypernauséeux / l’hypersensibilité. Elle alerte également sur « la bonne réalisation » des massages, pour que ceux-ci soient efficaces.
Et pourtant, j’ai vu une enfant, avec des massages faits très correctement, pendant 7 mois, à la bonne fréquence incontestablement et pourtant… 2 mois après l’arrêt, le nauséeux était de retour avec les morceaux.
Mon hypothèse => la famille n’avait pas proposé une alimentation dont la texture était variée. Ils avaient continué de proposer leurs « stock de Bledichef ».
Ne serait-il effectivement pas logique que les massages ne puissent cesser que lorsque le relai « naturel » est pris ? C’est à dire, sur le plan sensoriel, lorsque l’enfant accède à des aliments relativement variés, en morceaux (ou en mixé si tel est le projet avec un patient porteur de handicap plus lourd par exemple) ?
Par ailleurs, il me semble que le 7/7/7 est également en réalité très variable. Notamment chez les enfants petits. Le 7/7/7 serait plus une moyenne à retenir, à garder en mémoire, voire à annoncer aux parents pour leur permettre de projeter la contrainte. Mais en réalité, tout dépend de l’âge de l’enfant, de sa pathologie, de son profil sensoriel. Un bébé de 18 mois, ayant levé son nauséeux, accédant à une alimentation en morceaux dans son quotidien, pourra possiblement se passer des massages plus rapidement qu’un enfant du même âge présentant un RGO (quoi que œuf ou poule ?), une allergie alimentaire, une atrésie de l’œsophage, … toutes ces pathologies qui, de fait, restreignent les possibilités à des accès alimentaires sereins dont les textures seraient variées.
Prenons l’exemple des enfants autistes (TSA) présentant une hypersensibilité des mécano-récepteurs de la bouche. Leurs difficultés alimentaires ne s’expliquent pas que par cette hypersensibilité là. Chez ces enfants, c’est un processus bien plus complexe qui est en jeu. Alors certes, si lever l’hypersensibilité intrabuccale peut être utile, cela demeurera certainement très insuffisant pour bien des enfants porteurs de TSA. J’y reviendrai prochainement plus spécifiquement. En deux mots, je pense qu’il s’agit plutôt encore de l’expression sur l’alimentation de leurs troubles de l’intégration sensorielle sur une échelle plus large que celle des capteurs sensoriels de la bouche.
Les massages de Senez règlent donc, selon moi, seulement la problématique de l’hypersensibilité des mécano récepteurs intrabuccaux… ils ne règlent pas tous les dysfonctionnements sensoriels et émotionnels éventuellement associés. Or, j’émets l’hypothèse que cette hypersensibilité intra-buccale, souvent retrouvée très précocement dans les particularités alimentaires de ces enfants à « troubles de l’oralité », induit une intégration sensorielle très spécifique des « schémas repas chez certains de ces enfants-là, avec notamment des entrées visuelles, ou olfactives extrêmement investies autour des repas, allant jusqu’à ce qu’on pourrait appeler une « >hyper-lecture » de l’assiette. Celle-ci pourrait s’enraciner via les informations intrabuccales et émotionnelles, premières vécues dans l’histoire de la diversification de l’enfant. Côté émotion, une « hyper-réaction » face aux « repas » : là où certains salivent lorsque le bruit / l’odeur des oignons leur parviennent, d’autres « stressent » en entendant les bruits d’assiettes.
Récapitulons.
Les massages de Senez me paraissent vraiment intéressants pour lever l’aspect « physiquement désagréable voire douloureux » de l’alimentation. Quand on devine de plus à quel point les nauséeux et les RGO s’auto-entretiennent, il me semble capital d’avoir des solutions pour rapidement lever les hypersensibilités des mécano récepteurs intrabuccaux.
Après il ne faut pas oublier que les hypersensibilités ont quelquefois une histoire et que la levée de l’hypersensibilité intrabuccale n’est pas suffisante pour lever toutes les douleurs inhérentes à l’alimentation : pensons à ces enfants présentant des pathologies digestives importantes… Si elles génèrent effectivement souvent des hypersensibilités (parce que bouche sous-investie), la levée de celles-ci ne fera pas disparaître la douleur initiale en lien avec la pathologie.
Ensuite, il convient de pouvoir se représenter le vécu de l’enfant qu’on rencontre afin d’envisager les éventuels retentissements de ces « désagréments » alimentaires sur le reste de sa sensorialité. Comment a t-il construit son schéma alimentaire via ses sens, ses émotions ? Quels sens sont éventuellement devenus également hypersensibles lors des repas ?
Alors, on fait quoi ?
Pour lever ces « hyper-réactivités », on pourrait penser qu’il convient de proposer dès que possible des nouveaux schémas stables et fréquents, cohérents pour l’enfant, et gravir peu à peu les marches de la flexibilité possible chez cet enfant-là. A ce niveau, la guidance parentale me paraît capitale. En effet, je pense qu’il n’y a rien de plus compliqué que de « garder le cap » face à un enfant qui ne mange pas bien. Le soutien d’un tiers me paraît capital pour certaines familles au moins.
Puis, garder également en tête que si un bébé ne mange pas du steack du jour au lendemain dans sa vie de bébé, il faudra certainement aussi accepter de laisser à cet enfant présentant des troubles de l’oralité le temps de la découverte alimentaire que ce soit sur le plan sensoriel, mais aussi gustatif, visuel…
L’alimentation est une affaire fortement influencée par la société et l’éducation… Il conviendra de permettre à chacun de s’offrir la liberté de manger pour son plaisir, et non pour « faire plaisir », pour « faire bien ». Loin d’oublier les mesures de prévention santé en lien avec l’alimentation, je pense personnellement qu’il serait bon d’offrir aussi aux gens la liberté d’être et de cesser de les morceler entre « les pub Mac Do » et les flash « 5 fruits et légumes par jour ». Si nous savions tous comme les industriels utilisent nos sens pour manipuler nos désirs… je crois que nous comprendrions mieux comment aider nos enfants à troubles de l’oralité 😉 Mais cela est un autre débat…

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