L’oralité, fonctionnement général

L’oralité, fonctionnement général

Vous avez demandé l’oralité ? A quel étage ?
J’échange beaucoup avec des familles via internet ces derniers jours et je réalise la confusion qui s’installe autour de l’intitulé « troubles de l’oralité ». Des mamans s’échangent des stratégies face à des enfants présentant certes chacun « un trouble de l’oralité », mais… quel trouble de l’oralité ? Vers quelle oralité d’adulte ?

Cela m’amène à réfléchir sur l’éventuelle façon d’expliquer qu’il existe DES troubles de l’oralité comme il existe DES troubles du langage oral… Des troubles de l’oralité sur des étages divers, avec des contraintes isolées ou multiples, identifiées ou obscures…

Voilà que je repense soudainement à mes études d’orthophonie pas si lointaines pourtant, à peine 15 ans, où on m’expliquait dans un cours que le langage s’inscrivait dans la relation affective. Dans le suivant on me parlait du cerveau siège du langage. Avant on m’avait longuement expliqué la vision linguistique des mots, de leur poids, de leur sens, de leur forme…
Au cœur de tout cela, de ces entrées multiples vers le mystère du langage, j’oubliais le projet initial : comprendre comment cela fonctionne… Je morcelais ma vision du langage dans des petites cases accolées les unes aux autres, comme s’il avait fallu que je choisisse plus tard entre l’une ou l’autre de ces cases-là pour travailler. Que chacun soit rassuré… avec le temps les cases se sont organisées entre elles, communiquant gentiment 😉

Je retrouve ces temps-ci ce climat à travers les discussions des professionnels et des familles. Je ressens profondément à quel point les connaissances sur les troubles de l’oralité nous bringuebalent des neurones du cerveau, aux neurones digestifs, aux modes éducatifs, à la raison socio-culturelle qui guide notre « devoir faire » en matière alimentaire. Je m’étourdis à force de devoir organiser dans ma tête ces connaissances multiples autour du sujet… Phase d’apprentissage, sans doute…

Je pense soudainement à mes collègues qui tentent d’y voir clair dans ces troubles-là, et qui se noient possiblement parmi la tonne d’articles susceptibles de les enrichir, de les aider à comprendre, de les aider à aider. BREF.

Ce soir je prends le risque de tenter de présenter « les contraintes », c’est-à-dire ce qui est susceptible d’entraver l’oralité d’un enfant.

Expliquons de manière schématique, caricaturale :
1 ère notion : du sensoriel au moteur
L’oralité s’installe sur des informations sensorielles qui vont venir « brancher » des activités motrices.
Comprendre là que sans activité sensorielle, l’aspect moteur reste en sommeil.

Et une activité sensorielle nécessite : un capteur (DES capteurs ?) + une base de recueil de données en bons états.
(Comprendre : oreilles audition / oreille vestibulaires / yeux / capteurs proprioceptifs, thermiques, gustatifs, olfactifs en bon état + cerveau idem.)

Pour l’oralité, avons-nous besoin de tous ces sens-là ?
… oui.
Oui parce qu’ils s’intègrent ensemble pour offrir à l’enfant une représentation d’un tout, de son environnement.

Pensons pour mieux comprendre au bébé que l’on berce, yeux ouverts, yeux fermés, écoutant sa boîte à musique posée sur sa commode, tandis que sa maman va et vient dans la pièce, le serrant contre elle, puis le déposant dans son lit tout doucement.
Visualisez cette scène commune dans la vie des parents de nourrisson. A ce moment-là, le bébé va recevoir toutes les informations sensorielles que son organisme est capable de recevoir. Il va garder inscrit en lui l’aspect agréable de la scène du bercement qui lui rappellera sans nulle doute les mouvements in utéro et l’odeur de sa maman déjà inscrite en lui via le liquide amniotique (si si je vous assure, ces informations sont déjà là).
A force de vivre cette scène là, le bébé va peu à peu se rassurer avec une seule de ces informations. Le bercement bien enveloppé et la chaleur du corps à corps avec maman, son odeur, l’écoute de sa voix, la vue de son visage qui peu à peu va s’inscrire : petit à petit, il va pouvoir s’apaiser avec juste le visage de sa maman au dessus de son lit, qu’il raccordera au schéma qu’il aura précédemment inscrit en lui, via la pluralité de ces informations sensorielles remontant au plus loin de son expérience cérébrale. Peu à peu, il va distinguer les différents messages qu’il reçoit, pour faire le tri entre ce qui est pertinent, ce qu’il doit traiter, et ce qu’il doit laisser de côté parce qu’inintéressant à ce moment là. Mais passons, je m’égare, quoi que…
bébé maman
Tout ça pour dire : pour manger, tous les sens participent, même ceux auxquels on ne pense pas au prime abord.
Je mange donc certes avec mon sens du toucher, et celui du goût, de l’olfaction…
Mais je mange aussi avec mes yeux et mes oreilles. Ce bruit de casserole dans la cuisine, me prépare même à manger quand, bien plus grand, j’ai intégré sans y penser que ce bruit-là signifie que bientôt on me nourrira.
Je mange aussi avec la position de mon corps, bien installé assis, …

Nous y voyons donc plus clair :
on mange grâce à :
+ nos capteurs sensoriels
+ leur base de réception (le cerveau)
+ leur branchement au « cerveau moteur » via les expériences sensorielles
+ le mouvement qui est commandé alors à notre corps… mais pas que !

Ah bon ? Et après ?
Et après, entre en jeu le système digestif. Ses branchements plus complexes. Via les sens, via le moteur, via les sécrétions hormonales, les neurotransmetteurs…

Une fois que le contexte « manger » est là, avec des informations sensorielles cohérentes qui appellent « le cadre du repas », le corps se met en route vers l’action de manger.

Je pense alors à un petit patient qui présentait un syndrome rare qui, entre autre, court-circuite le système de l’appétit. Ce petit garçon, émoustillé devant le tableau du repas, ses odeurs et ses couleurs… n’en demeurait pas moins un petit mangeur rassasié dès la 4 ème cuillère. La gastropédiatre qui l’avait vue en consultation me confiait comme cet enfant allait bien ! Avec son petit appétit, il ne s’en sortait pas si mal : ni nausées, ni aversions pour les repas… Sa famille avait su lui offrir un cadre ouvert lui permettant de vivre tous les jours avec eux le moment du repas et de tous ses messages. Alors certes il ne mangeait pas vraiment, mais il était content de s’installer à table le plus souvent, et ça déjà c’etait une bonne chose. Pouvions nous dire qu’il présentait des troubles de l’oralité ? Des troubles digestifs ? Peut-être aurions nous pu proposer  » troubles digestifs sans incidence sur l’oralité ». Ce à quoi nous aurions pu nous attendre, c’est que ce petit, à l’appétit réduit, aux diarrhées incessantes, développerait un rapport à l’alimentation peu positif, or ses parents avaient réussis cet exploit de préserver cela chez leur petit. Et lui-même avait cette chance que le plaisir du repas soit resté supérieur aux désagréments de ses digestions rapides et douloureuses.

L’étage digestif est donc bien grand. De la bouche à l’anus, en passant par l’oro-pharynx, par l’œsophage, par l’estomac avec son cardia et son pylore, son duodénum,… Je n’ai pas encore la connaissance fine de tout ce fonctionnement là, je n’irai donc pas dans les détails, mais je peux tout de même vous inviter à retenir que tout le circuit digestif est également vecteur de messages sensoriels, en terme de confort, mais aussi d’inconfort, voire de véritable douleur. L’aliment qui nous a rendu malade, avouons qu’il n’est pas aisé de l’absorber de nouveau. La crise de foie post-Pâques nous vaccine du chocolat pour quelques semaines… Si si, essayez vous verrez 😉

Parlons de la bouche, celle-là je la connais pas trop mal, même si j’ai toujours le sentiment de ne pas avoir encore compris la finesse des rouages qui mènent à la mastication, ou plutôt à son altération.
La bouche, ses capteurs, ses informations sensorielles du toucher, du goût, des odeurs, des bruits (surtout quand ça croque), du chaud / froid, de la proprioception (je croque fort, ou pas ). Cette bouche pleine de capteurs qui vont commander mon cerveau vers les gestes moteurs.
sophie labelle
Imaginez quand le message qui y parvient est peu positif : pas de branchement moteur… et c’est l’inverse de ce qui doit se passer qui arrive. Au lieu d’avaler sans y penser, j’ai la nausée. Plus ou moins fort. Je recrache ou j’ouvre la bouche en grand, comme cette petite qui un jour en bilan, après avoir croqué dans le biscuit que je lui présentais, recevait d’un coup un message vraisemblablement déplaisant.Elle ouvrait grand la bouche sans même pouvoir recracher. Une larme roulait sur sa joue, une grimace dans ses yeux… mais sa bouche demeurait comme paralysée par ses sens. Comme une douleur foudroyante. Cette petit fille, que je voyais pour la première fois, qui n’avait jamais connu cette sensorialité déplaisante avec moi / dans mon bureau, n’avait pas été freinée par ses yeux, ni par son nez, ni par l’émotion négative déjà vécu face à ce schéma là. C’est les capteurs de sa bouche, certainement mécaniques, qui l’avaient alertée très fort.

Imaginez aussi quand cette bouche, siège des nombreux capteurs dont j’ai parlés avant, se dessine imparfaite, ne permettant pas aisément de mettre en place la mécanique digestive. Que deviennent les câblages sensoriels quand la motricité ne peut pas suivre ? Parce qu’hélàs, il n’y a pas que les sens qui conduisent les gestes. ce serait trop simples. Une fente, un défaut musculaire ? Quand la cartographie organique ne va pas, quel message des sens ?

Nous voilà donc à percevoir chaque étage, un par un, qui se dessinent au loin.
– du sensoriel
– du moteur
– du digestif
Simple ? Pas sûre… Parce que si les différents étages, qu’on sait que le sensoriel mène au moteur, que le moteur de la bouche mène au digestif… Chaque étage est également dépendant de l’autre, comme une boucle fermée où chaque maillon intervient.

maison
Alors, si vous devez garder une image des étages de l’oralité,
1/ imaginez une maison
2/ La population serait les informations sensorielles
3/ le rez de chaussée : les capteurs des sens accueillant la population de manière plus ou moins adaptée d’ailleurs (tous mélangés dans l’entrée ? tous rangés/organisés ?) pour que seuls les informations pertinentes puissent atteindre l’étage supérieur.
4/ Le premier étage : là où les sens vont se mettre à manier les machines de notre oralité / notre schéma d’alimentation
5/ Le deuxième étage : l’étage où les machines s’activent

6/… et tout en haut de la maison, sous les toits, derrière ses écrans de surveillance, veillant au dehors et au dedans : le cerveau !

A présent, si vous croisez un enfant présentant un trouble de l’oralité, demandez-vous à quel étage ça se passe ? Si la maison est intacte, interrogez vous sur les informations sensorielles. Et puis retenez une chose… une maison non fréquentée est une maison qui se délabre. Ainsi, faute d’informations sensorielles, le rez-de-chaussée ne saura plus quoi faire de ses visiteurs.

Maintenant que vous m’avez lue confiez moi dans les commentaires les limites de cet article, je pourrai ensuite l’améliorer pour mieux répondre à vos attentes.

Photos de l’article de Daldenbe (on/off),Manu et Jun, Sophie Labelle, Batwill